Haïti : une population sacrifiée

Paris, le 3 mars 2023

Depuis de nombreuses années, le Collectif Haïti de France, ses 65 membres associatifs et 50 membres individuels, en lien permanent et en solidarité avec leurs partenaires haïtiens, voient plonger inexorablement Haïti dans un chaos politique, économique et social sans précédent.

Depuis bientôt 3 ans, la population est systématiquement terrorisée par des gangs armés qui se partagent la capitale Port au Prince, et certaines villes de province. Ceux-ci kidnappent, violent, rançonnent et tuent chaque jour en toute impunité, avec une facilité déconcertante. La rentrée scolaire n’a pas pu se faire en septembre 2022 et les familles, éclatées et désœuvrées, sont confrontées à une extrême violence, aux viols collectifs, aux violences sexuelles et à l’insécurité alimentaire faute de pouvoir se déplacer librement. L’accès à la santé, à l’eau, à l’éducation est quasiment impossible dans ces conditions.

Le dernier rapport de l’UNICEF, paru le 9 février 2023, dénonce l’aggravation de l’insécurité : « au cours des 4 derniers mois, 72 écoles ont été prises pour cible contre 8 au cours de la même période l’an dernier et au cours des 6 premiers jours de février, 30 écoles ont été fermées en raison de la violence dans les zones urbaines, alors qu’une école sur quatre est restée fermée depuis octobre dernier en raison de l’insécurité… Les gangs pillent et revendent tout ce qui se trouve dans les lieux. ».

Sans scolarisation, sans éducation, les jeunes de ce pays (la tranche 0-24 ans représente 52% de la population) se dirigent vers une acculturation certaine et bon nombre d’entre eux rejoignent les gangs ou fuient le pays.

D’ores et déjà des Haïtiens et Haïtiennes avec des enfants partent, quittent Haïti en bateau par milliers, pour un ailleurs incertain, d’autres traversent l’Amérique Latine et l’Amérique centrale à pied, en bus, pour rejoindre les Etats Unis, le Canada, ou la France, au risque de leur vie. Cette migration effective depuis 3 ans s’aggrave encore depuis que les États-Unis ont décidé le mois dernier d’accueillir 30 000 immigrés par an et d’ouvrir cette possibilité aux haïtiens. Cela a créé des espoirs insensés bien que des conditions drastiques soient imposées. Ces migrations entraîneront une nouvelle fuite des cerveaux et nous n’en mesurons pas encore l’ampleur ni les conséquences.

A ce constat terrible s’ajoute un chaos politique inédit :

En effet, depuis le 9 janvier, le pays se retrouve sans président, sans sénateurs, sans députés, sans maires, sans élus légitimes. C’est une situation unique au monde ! Nous constatons les dysfonctionnements des institutions comme la justice, la police, l’éducation, la santé, le manque de volonté politique, le non-respect de la Constitution de 1987. Les associations sur place font un travail remarquable, et les réseaux de défense des droits humains dénoncent, sans relâche, ces manquements. Ceci nous conforte dans notre soutien continuel à la société civile et à son renforcement.

Le Premier Ministre Ariel Henry, qui dirige ce gouvernement de facto, n’a pas été élu et, dans les nombreuses manifestations, la population réclame son départ. L’accord du 21 décembre 2022, initié par lui et le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), signé par des personnalités de la société civile et du secteur économique, est loin d’être représentatif des forces vives du pays. En effet, les signataires de l’accord de Montana, accord qui regroupait de nombreuses organisations de la société civile, n’ont pas été associés. Le fait que l’OEA, l’Union européenne, la France, l’Espagne et l’Allemagne l’accueillent avec intérêt est regrettable, c’est dénier la souveraineté du peuple haïtien qui mérite dignité et respect.

Le premier Ministre de facto a récemment sollicité auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU une intervention militaire pour lutter contre les gangs, mais la population haïtienne ne croit pas qu’une intervention extérieure militaire puisse résoudre la situation puisque les précédentes et nombreuses interventions de l’ONU ont manqué leurs objectifs et ont toutes été régulièrement contestées par les Haïtiens. La situation actuelle est de fait, la preuve de leur inefficacité.

La communauté internationale connait parfaitement toutes les exactions, trafics en tout genre et violations des droits humains en Haïti, mais peine à proposer des solutions efficaces, puisque les sanctions prises contre certaines personnalités soupçonnées de financer les gangs n’ont pour l’instant pas donné de résultats probants.

L’urgence absolue est de combattre les gangs avec la plus grande fermeté et en y mettant les moyens nécessaires.

En parallèle de la lutte contre les gangs, il est essentiel de mettre en place une gouvernance de transition et de rupture incluant les forces représentatives de la société civile dans toute sa diversité et sous l’égide d’un médiateur qui pourrait être un président ou un premier ministre de pays de la CARICOM et qui aurait pour mission de concerter et préparer des élections libres et démocratiques dans des conditions apaisées. Nous espérons que la mission en cours en Haïti, conduite par le Premier Ministre Jamaïcain, permettra de trouver un consensus. Une solution politique est nécessaire, mais elle serait inopérante si les gangs ne sont pas neutralisés dans le même temps.

Il faut prendre la mesure du drame qui se joue en Haïti. Rien ne serait pire que de rester indifférents à la situation d’Haïti dans un monde où nous sommes plus que jamais interdépendants et quand les droits des enfants et la démocratie sont bafoués, l’indifférence devient coupable.

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Pour le Collectif Haïti de France :

Ornella Braceschi

06 48 75 06 82

Présidente