Retours sur la conférence/débat sur le thème " Le journalisme en Haïti, difficultés et enjeux"

Le Collectif Haïti de France, en partenariat avec le Centre de Documentation Internationale pour le Développement, les Libertés et la Paix, a organisé un débat le 20 octobre un événement autour du thème « Le journalisme en Haïti, difficultés et enjeux ». La conférence et les échanges l’ayant suivi ont étés animés par Gotson Pierre, le président de notre groupe partenaire Médialternatif, journaliste haïtien. Voici les points importants abordés au cours de cet événement :

Un état des lieux à été premièrement proposé afin d’obtenir un aperçu représentatif de la situation en Haïti

Les données fournies mettent en évidence le fait que le média le plus accessible et le moins coûteux en Haïti est la radio, il en existe environs 700 stations pour une île de 28000km2 et 11 millions d’habitants. Il existe également une centaine de chaînes de télévision, un secteur en grand développement, et une multitude de quotidiens, hebdomadaires et mensuels, qui donne à Haïti une grande quantité de médias par rapport à sa population. 20 % des habitants de l’île ont accès à internet (environs 1 million -100 mille il y a 20 ans) qui se développe de façon exponentielle, couplé avec la montée en puissance des téléphones portables, dits « le bien le plus partagé en Haïti » 90 % de la population en ayant en sa possession.

Au niveau de la liberté de la presse et d’expression, Gotson est concis : il s’agit d’un des grands acquis sociaux des trente dernières années. Malheureusement, la place d’Haïti dans les classements internationaux en lien avec la liberté de la presse et d’expression chute d’année en année, et est passée de 47è il y a deux ans à 53è aujourd’hui.

Et la raison en est politique et liée au contexte général d’Haïti, ne s’étant encore stabilisé après la dictature des Duvalier. Haïti mène un combat continu pour la liberté d’expression, car le contexte est chaotique : la dictature a été suivie de plusieurs périodes démocratiques ou autoritaire, et cette dynamique de transition perpétuelle ne permet pas à la presse d’asseoir sa légitimité et ses capacités. Malgré cela, dans les années 70 deux grandes stations de radio libèrent l’accès à l’information au peuple : Radio Haïti Inter et Radio Soleil, introduisant toutes deux le créole (langue parlée majoritairement en Haïti) dans leurs programmes, et en développant un réseau plus rural. Ces aménagements permettent une importante rupture, qui ouvre enfin au dialogue avec la population. Élan vite rattrapé par les Duvalier (1980) qui mettent en place une opération d’envergure dans le but de freiner cet essor par la répression. Malgré cette dégradation du climat médiatique, Radio Soleil (une radio évangélique) continu sur sa lancée et sera un véritable contributeur à la chute de la dictature en 1986. Mais la suite des événement politiques et gouvernementaux ne permettra pas à la presse de réellement s’installer et se légitimer, et aujourd’hui encore, ce secteur est confronté à de nombreuses difficultés.

Les difficultés de la presse en Haïti sont aujourd’hui multiples : faible qualité et centralisation de l’information, aucune visée investigatrice des médias…

Faible qualité de l’information, à cause du climat politique instable. Les forces de pression s’exerçant sur les journalistes et médias sont nombreuses : forces gouvernementales et financières s’allient pour réguler la diffusion de l’information sur l’île. Les médias n’ayant aucun soutien financier ni régulatoire ou gouvernant de la part de l’État, ils sont donc totalement engagés dans des relations de dépendances avec partenaires politiques et économiques, qui les poussent à tendre vers un lissage de l’information en fonction des besoins de ceux-ci. Liliane Pierre-Paul, une journaliste engagée dans la défense de la liberté d’expression c’est d’ailleurs exprimée à ce sujet « Il existe un fascisme rampant en Haïti, qui se développe en collaboration avec les journalistes ».
La centralisation est également un problème prioritaire dans la diffusion de l’information. Celles-ci sont relayées par Port-au-Prince et les grandes villes, mais n’atteigne pour une majorité pas les campagnes, et ce, dans les deux sens. Une question qui serait plus d’ordre des moyens que de la volonté. Il existe un grand isolement entre ville et campagne, fossé encore creusé part cette interruption de la diffusion de l’information (ce qui peut-être un problème fondamental en cas de catastrophe naturelle, l’État ne pouvant couvrir toute sa population). Cette carence a été comblée par les services des ONG, mais cette aide même pourrait être en défaveur de l’indépendance des médias. Par ailleurs, la présence de l’ONU en Haïti (Minutsah) en fait un interlocuteur et un acteur très présent dans les médias, devenant concurant ou du moins occupant la place du secteur journalistique en difficulté d’Haïti.
De plus, il n’existe sur la perle des Antilles pas à proprement parler de journalisme d’investigation, un manque s’étant créé sur la base du régime des Duvalier. Aujourd’hui, les journalistes n’ont ni la formation, ni les ressources humaines pour effectuer un travail journalistique de terrain en investigation, et l’impunité est telle qu’ils n’ont aucune protection face à la corruption des services étatiques ou privés. Les assassins de journalistes ne sont que rarement jugés, et encore moins punis. Et ce sans grande dissimulation : le cas de Jean Dominique, suivi d’une douzaine d’autres assassinat n’obtint jamais de conclusion (malgré l’implication de plusieurs juges) et ne fût qualifié que très tardivement de « Crime d’État ».
L’État perpétue également la tradition de la « bouche cousue », une autre grande difficulté à laquelle sont confrontés les médias. L’accès à l’information est difficile malgré la législation. Les institutions ne parlent ni ne diffusent pas, et dans ce manque de transparence filtrent donc jusqu’à arriver à une communication arrangée, une propagande gouvernementale Aujourd’hui, une loi -déjà passée au sénat- se prépare. Elle consiste à subordonner le travail des médias à celui de la justice. C’est à dire qu’au lieu que la justice suive l’information, il faudrait faire l’inverse, or tout ceci s’inscrit dans une tendance à la pénalisation de la diffamation qui est en lien direct avec la montée en puissance des réseaux sociaux dans le paysage médiatique.

Ces multiples facteurs sont responsable de la non diversité des informations transmises : la sur-politisation de l’information coupe court à toute réflexion sur d’autres sujets, pourtant fondamentaux.

Les grand enjeux du journalisme en Haïti sont donc situés en trois axes :

  • Le statut du journalistes (sensibilisation aux enjeux de la communication, formation des journalistes, sécurité…)
  • Le relais de l’État de droit (droits humains, intégration et couverture de toute la population, nouvelles questions…)
  • L’autonomie des médias (alliance média et société civile, arrêt de l’impunité, aider à faire la lumière)

Le débat à ensuite abordé différents thèmes en lien avec la problématique, comme l’éducation à la citoyenneté et à la culture des médias et par les médias, la nécessité de faire de l’audience au vu de l’abandon étatique et les dérives que cela peut entraîner, l’important développement de la télévision, la formation des journalistes, l’écriture haïtienne, le cantonnement de l’information à la politique, le rôle de Radio Lumière, la place du gouvernement dictatorial, autoritaire ou démocratique, dans la dynamique des médias ("la fin de la dictature ne signifie pas la fin d’un régime autoritaire") et le devoir de mémoire…

 

Gotson Pierre a finalement conclu sur cette phrase « Il ne faut jamais généraliser car des efforts se font, et des processus se mettent en œuvre. Mais il faut maintenant lancer un mouvement d’ensemble, qui soutiendra notre combat pour un État adapté ».