Article paru sur le site d’Alterpresse le 21 novembre 2012

Par Gotson Pierre


Ce texte, qui n’en est pas vraiment un, est en réalité un plan d’intervention préparé pour un exposé, lors des 4es rencontres nationales organisées les 2 et 3 novembre 2012 à Paris par le Collectif Haïti de France (CHF), à l’occasion de ses 20 ans.

A travers cet exposé, j’ai tenté de mettre en perspective la quête du changement en Haïti, les acquis et les enjeux, qui impliquent un engagement renouvelé, tandis que de nombreuses questions devraient alimenter le débat pour faire avancer la cause démocratique.

Une quête de changement qui dure

Le changement, un des motifs du renversement de la dictature en 1986 :

1- La population était fatiguée de la répression, de la corruption et du pillage systématique des ressources du pays.

2- Elle entendait changer de cap et mettre la société haïtienne sur les rails de la démocratie et du développement durable.

3- Le changement voulait dire changer l’Etat : un État au service du bien-être de la nation entière et pas un instrument aux mains des minorités dominantes contre l’intérêt commun.

4- Le changement était perçu comme la participation citoyenne aux processus nationaux et la transparence dans les prises de décision.

5- Le changement signifiait également la possibilité pour la majeure partie des Haïtiennes et Haïtiens d’être les actrices et acteurs du futur d’Haïti.

Quels acquis de cette quête de changement ?

Bien sur, une liberté d’expression perdure dans la tourmente et se débat face à la volonté des administrations politiques successives et des forces d’argent de brimer la parole.

Dans une certaine mesure, les libertés d’association et de manifestation sont sous haute surveillance.

Mais :

1- Haïti se démène encore dans une espèce de marasme qui tend à décourager les volontés de transformations sociales qui se sont manifestées au cours dès dernières décennies.

2- L’État se fait de plus en plus absent et ne montre aucune velléité à assurer la défense de l’intérêt national et du bien commun. Il s’accommode bien d’une occupation étrangère qui refuse de dire son nom et enlève tout son sens au mot souveraineté.

3- Les élections, mécanisme de renouvellement du personnel politique, sont plus perçues aujourd’hui comme une formule pour créer des emplois et se doter d’une immunité pour faire des affaires louches.

4- On a assisté et on assiste encore à la réduction de l’État à sa plus simple expression. L’État de service attendu ne s’est jamais mis sur pied.

5- Le projet de démocratie à orientation participative, consacrée par la constitution de 1987 a échoué. De coups d’État en coups d’État. De gouvernements autoritaires en gouvernements autoritaires, la constitution a été réduite en un torchon, jusqu’à son amendement à la va vite en 2011, qui a consacré la mise au rencart du processus participatif.

6- L’indépendance de la justice est demeurée un vœu, tandis que l’injustice et l’impunité se sont confirmées comme la règle absolue.

7- Les choix économiques ultralibéraux et sans nuances, adoptés depuis plus de 20 ans, ont amené à la diminution progressive des capacités de production du pays, au renforcement de la dépendance et l’assistanat ainsi qu’à l’accroissement de la pauvreté.

8- L’environnement s’est davantage fragilisé dans un pays considérablement affaibli dans ses capacités de réponse à des catastrophes dont les dimensions se font de plus en plus importantes.

Quel changement dans un tel contexte ?

Le changement, ce serait commencer par inverser cette tendance et recréer pour les forces vives l’espoir d’une autre Haïti possible.

Comment l’engagement citoyen pourrait-elle se mettre en adéquation avec ce défi de taille ?

Un certain nombre de questions se posent aujourd’hui à la citoyenneté dans le contexte haïtien :

1- Faut-il s’engager dans l’éducation populaire ? Recommencer patiemment à faire le travail de fourmi d’éveil des consciences ?

2- Faut-il créer des passerelles entre le social et le politique ?

3- Cette démarche, est-elle en mesure d’assurer une résonance politique aux préoccupations sociales ?

4- Comment revaloriser l’engagement politique et à quel point la promotion et la défense de l’éthique dans l’action politique, peuvent-elles y contribuer ?

5- Comment peut-on faire foisonner les initiatives socio-économiques en assurant leur viabilité leur autonomie progressive et trouver par ce biais des réponses à des problématiques nationales ?

6- Peut-on, par la diffusion, la vulgarisation et la promotion des expériences de coopération solidaire horizontale, susciter une conscience critique vis-à-vis de la coopération traditionnelle verticale ?

Voilà des questions qui nous interpellent, ou qui devraient nous interpeller en tant que citoyens haïtiens, ou citoyens solidaires de la cause d’Haïti, aujourd’hui encore à la croisée des chemins.