J’entends les voix qui vont dire : parler des différences de revenus, de classes sociales, d’exploitation, d’exclusion, ce n’est guère le moment, l’heure est au front commun; l’ennemi, c’est le virus.
Il reste qu’à cinq cent mètres de chez moi vivent des êtres humains qui côtisent pour acheter des seaux d’une eau non potable en fixant les termes du rationnement : un jour pour toi, un jour pour moi. C’est leur quotidien, leur normalité. Après le séisme de 2010, on avait aussi entendu des voix dire : ce n’est pas le moment de parler de classes sociales, nous voilà tous unis pour reconstruire et s’entraider. Ces êtres humains qui se partagent cette eau pourrie, ils sont là depuis 2010.
Je répondrai donc à ceux qui prétendent qu’il ne faut pas parler de problèmes sociaux en temps de crise que les crises sont au contraire des moments historiques où il convient d’en parler. Ces crises, dans leur expression matérielle, font remonter à la surface les problèmes sociaux, les injustices sociales, avec lesquels on avait l’habitude de faire la paix, qu’on avait d’une certaine manière normalisés.
[…]
La plus grande catastrophe ici c’est cette société d’injustices et d’inégalités. C’est dans ses plaies que le reste vient s’installer. C’est aussi parce qu’il n’a pas l’habitude de penser le social que le pouvoir semble aussi embrouillé et désemparé.