VERS LE SUD film de Laurent Cantet, 1h47
avec Charlotte Rampling, Karen Young, Ménothy César,Louise Portal

Laurent Cantet a découvert un grand écrivain haitien ,Dany Laferrière, peu connu en France et pourtant très populaire au Canada et aux USA. D. Laferrière a inventé un nouveau style d’ écriture qui nous déroute au départ. Non conventionnel, dans un style très imagé , il nous fait revivre toute son enfance et son adolescence(voir son oeuvre sur Google). Dans cette nouvelle "Vers le sud", il attaque un sujet très grave : celui du tourisme sexuel qui était très répandu à l’ époque de JClaude Duvalier, dans les années 70-80. Des charters entiers de canadiens, américains dont de nombreux pédophiles venaient louer pour une semaine ou deux les services sexuels de jeunes adolescents-es ou d’ enfants. Certains journalistes québécois réagirent et dénoncèrent le scandale qui diminua mais reste encore actuel.

Cantet dans un style direct et bien imagé , nous fait revivre cette page d’ histoire de ces femmes dans la cinquantaine, déçues de leur vie conjugale ou écoeurées de la vie infernale qu’ elles vivent dans le Nord, viennent passer quelques semaines de vacances dans ce pays merveilleux – oui il l’ est vraiment – et exploiter sexuellement des enfants ou de jeunes garçons désoeuvrés à la recherche d’ un travail introuvable pour subvenir aux besoins de leur famille. Ellen/Charlotte- Brenda/Karen- et Sue/Louise- viennent régulièrement dans ce coin du pays, dans un petit hôtel au bord de mer. Cela pourrait être à Jacmel, lieu paradisiaque pour les amoureux de la mer ou bien Timouyaj à Kay Jacmel. En fait , le réalisateur a préféré filmer l’ essentiel de l’ action dans le pays tout proche, la République Dominicaine, plus calme mais qui vit actuellement ce même tourisme sexuel.

Ellen et Brenda se disputent les charmes de Ménothy, jeune homme sympa et triste , qui vit un drame terrible et caché qui se terminera brutalement. Ellen nous éblouis par son jeu et nous éffraie par son sadisme et son cruel réalisme . Elle incarne à merveille ces femmes /ou ces hommes/ qui viennent dans les pays du sud chercher un complément à leurs frustrations. Brenda rêve d’ un homme des Caraïbes qui lui apportera le bonheur, tandis que Sue vit son histoire d’ amour sans se poser trop de questions. Trois portraits de femmes qui nous font frémir par leur perversité et leur bonne conscience apparente.

Quant à Legba/Ménothy, jeune homme dans la vingtaine, ce qui m’ a frappé c’ est la fierté et l’ indépendance qu’ il garde par rapport à toutes ces femmes qui le poursuivent sans cesse et son désir de s’ en sortir à tous prix. Ces étrangères ne pensent qu’ à l’ exploiter et ne se préoccupent pas de ce qu’ il vit dans sa famille. Il n’ en parle pas et garde son secret douloureusement. On ne le sent pas heureux mais résigné dans cette situation qui ne lui convient pas vraiment.

Cantet ne nous fera voir de Port au Prince et de la misère qui règne partout que de rapides moments, trop courts pour avoir une idée exacte de ce que vit le peuple haitien aujourd’ hui à quelques jours des élections . De la répression à l’ époque de Jean-Claude Duvalier, nous ne voyons que quelques images et la fin dramatique. Dommage.

Le mérite de Cantet est d’ avoir entrepris un tel film et de dénoncer clairement une autre forme de néo-colonialisme du Nord dans les pays du Sud, comme celui du " Constant gardener" qui nous dévoile l’ exploitation des compagnies pharmaceutiques en Afrique. Avec impatience nous attendons un long métrage qui dénoncera l’ esclavage dans lequel vivent plus de 100.000 haitiens dans les bateys de R. Dominicaine depuis plusieurs décennies, avec la complicité de la communauté internationnale.Le prochain Paris Match devrait en parler, grâce au témoignage héroïque de Pédro Ruquoy qui en est sorti vivant par miracle.

Images excellentes et musique haitienne bien adaptée. Le film vaut vraiment le déplacement.

René Soler, cssp. Vitry sur Seine le 23-1-06