Paru dans Mediapart

Lyonel Trouillot, romancier, poète, journaliste et professeur de littérature revient sur la situation que traverse Haïti où il vit toujours. Il explique les drames vécus quotidiennement par ses compatriotes, quelques mois avant une élection présidentielle qui s’annonce explosive.

Pour quelqu’un qui aurait vaguement entendu parler d’Haïti, quels sont les éléments qui vous semblent essentiels à connaitre pour comprendre les soubresauts qui secouent votre pays ?
Je ferai court en disant que la modernité installée par la révolution haïtienne (anti coloniale, anti raciste, anti esclavagiste) en 1804 est mise sous séquestre dès 1806, au profit d’une alliance entre une oligarchie d’affaires et une oligarchie politique qui se partagent les richesses sans installer une sphère commune de citoyenneté. Aujourd’hui, ce système qui a perduré ne peut se régénérer que par la répression et la corruption, face aux revendications appelant à la transformation des rapports sociaux dans le sens des intérêts de la majorité. Ce dont Michel Martelly, (Président de la République d’Haïti entre 2011 et 2016, ndlr) le Président actuel, Jovenel Moïse et le Parti haïtien Tèt Kale (PHTK, ndlr) sont le nom, c’est cette volonté rétrograde de perpétuer ces structures et mécanismes de domination-exclusion-répression. C’est une guerre ouverte entre une volonté de continuité et une demande de rupture. La communauté internationale soutient cette volonté de continuité sous prétexte de formalisme. Tous les canaux institutionnels sont interdits au peuple condamné à inventer des moyens d’expression de sa révolte et de sa volonté. C’est une honte de voir que ce combat pour une démocratie réelle n’a pas le soutien de l’Occident. C’est ce que le lecteur occidental doit savoir : en Haïti un peuple se bat contre des voleurs et des assassins protégés par l’Occident au nom d’une apparence de démocratie formelle qui ne convainc plus personne. On a envie de crier « Black countries matter ». On le crie, mais les États et les instituions refusent d’entendre le cri. Espérons que les sociétés civiles occidentales feront mieux qu’eux.

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