Monsieur Jean Yves LE DRIAN,

Ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères,

75007 PARIS

Monsieur le ministre,

Les pays amis d’Haïti, dont la France fait partie, ont fait le pari que les élections[1] du 20 novembre 2016 pouvaient amener ce pays à rompre avec le cycle infernal des pouvoirs claniques et de l’instabilité. Ces politiciens et les élites qui les soutiennent sont peu soucieux de l’intérêt général. Et leur bilan est bien saumâtre : le pays est exsangue, l’économie atone et les droits humains en berne. Trente-cinq ans après la chute des Duvalier les vieux démons sont toujours vivaces : corruption, intimidation, impunité, crimes, le tout sur fond de démocratie confisquée.

Depuis septembre 2018 Haïti plonge dans une ‌spirale de la violence. Le massacre de 71 personnes dans le quartier populaire de La Saline, les manifestations importantes dans tout le pays pour lutter contre l’impunité et qui ont provoqué le blocage du pays, le « peyi lòk » en 2019, la puissance et l’organisation des gangs armés, les kidnappings, la grande fluctuation du taux de la monnaie au détriment de la population.

Le parlement n’est plus en état de fonctionner depuis janvier 2020. Le président gouverne donc seul à coup de décrets et autres arrêtés contestés par la société civile qui réclame désespérément une transition et le respect de la Constitution de 1987. Ces éléments amènent à la situation d’aujourd’hui, la découverte d’un faux coup d’Etat le 7 février et la violente arrestation de soi-disant comploteurs ainsi que la mise à la retraite de trois juges de la cour de cassation pourtant réputés inamovibles.

C’est ce constat que partage les membres du Collectif Haïti de France et leurs partenaires haïtiens ainsi qu’avec la Coordination Europe-Haïti (CoEH) qui est une plateforme européenne d’organisations de la société civile en Europe, engagées en Haïti.

Aussi ensemble, nous nous interrogeons sur les responsabilités de la Communauté internationale et en particulier celles de la France. Il faut que les pays amis de Haïti et le « Core Groupe » tirent les conséquences du cycle qui s’achève et mettent fin au soutien complice à ce régime plus soucieux de son maintien au pouvoir et de son impunité que de l’intérêt général.

Au parlement européen mais aussi au Congrès Etatsunien des voix s’élèvent enfin pour réclamer une autre politique internationale en faveur de Haïti. La campagne Stop silence Haïti, dont le Collectif Haïti de France est partie prenante, rencontre un vif écho dans les pays francophones et au-delà. L’heure est venue pour de nouvelles relations propices à l’instauration d’une dynamique démocratique.

C’est pourquoi, monsieur le Ministre, nous vous demandons de modifier la position de la France par rapport à la situation actuelle en Haïti qui s’apparente à une dictature, et de porter en Europe et dans les instances internationales les conditions d’une transition inclusive avec les formations démocratiques de cette nation amie. Il en va de la grandeur de la France.

Veuillez croire, monsieur le Ministre, en notre très haute considération.

La Présidente du Collectif Haïti de France

                                                                                                Ornella Braceschi

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[1] Le corps électoral est de 5 millions sur une population d’environ 12 millions. Seulement 21,69% de participation à ce scrutin et 55,67% des suffrages pour Jovenel Moïse, le candidat du PHTK de l’ex président Martelly.