Paris, le 2 juillet 2007
A l’attention de M. Pâris Mouratoglou
Président du Conseil d’administration
Groupe EDF Energies nouvelles
Cher Monsieur,
Comme vous le savez, les consommateurs des pays industrialisés sont de plus en plus attentifs aux conditions dans lesquelles sont produits les articles qu’ils achètent. C’est à la fois en tant qu’association attachée à la défense des droits humains et en tant qu’acheteurs d’énergie électrique à l’EDF et peut-être, demain, de biocarburants, que nous nous adressons à vous.
Le Collectif Haïti de France est une association de solidarité avec Haïti créée en 1986, rassemblant de nombreuses associations locales à travers la France. Nous nous intéressons depuis plusieurs années aux problèmes rencontrés par les Haïtiens et leurs descendants vivant en République dominicaine, et agissons en relation avec plusieurs associations haïtiennes et dominicaines qui défendent leurs droits.
Nous avons ainsi été partenaire de l’initiative « Esclaves au Paradis » qui vient de se tenir en France, en mai et en juin (expositions de photographies, colloque « Sucre, sang et sueur », projections de films et débats à Paris et en province). Elle a donné lieu à de nombreux articles dans la presse et à des réactions en République dominicaine.
Ces dernières années, et notamment ces derniers mois, l’opinion française et internationale a été alertée par des campagnes d’information, des rapports (Amnesty International, Catholic Institute for International Relations, Département d’Etat des Etats-Unis…), des livres, des films, et des émissions de télévision portant sur la situation des Haïtiens et de leurs descendants en République dominicaine, et plus particulièrement sur celle des coupeurs de canne à sucre. Des diplomates étrangers, des parlementaires nord-américains et un responsable de la Banque mondiale se sont émus de cette situation et se sont déplacés dans les « bateyes » où vivent les coupeurs de canne. . Quelques mouvements sociaux se sont déroulés ces dernières années sur les plantations de canne à sucre.
Parmi les problèmes mis en évidence figurent :
– l’existence d’un trafic d’êtres humains (cf. notamment un rapport très récent du Département d’Etat des Etats Unis), y compris de pré adolescents, organisé avec la complicité des autorités dominicaines, dans le but de fournir aux plantations sucrières une main d’œuvre saisonnière jeune, très majoritairement haïtienne, sans statut légal, placée dans l’incapacité de défendre ses droits et de quitter la plantation sans être arrêté ;
– les mauvais traitements infligés par les contremaîtres et les gardiens (coups de fouet…) ;
– l’absence de contrat de travail écrit ;
– une rémunération des coupeurs de canne inférieure au minimum légal dominicain, leur permettant à peine de survivre, d’autant plus qu’ils sont souvent amenés à acheter leur nourriture à des boutiques dépendant des employeurs et pratiquant le prix fort ;
– une rémunération proportionnelle à la quantité de cannes coupées, ce qui oblige les travailleurs à accepter des horaires et des conditions de travail illégales, sans même parler du repos hebdomadaire et des congés payés prévus par la loi ;
– les conditions dans lesquelles la canne coupée est « pesée » ou évaluée ;
– la retenue sur les rémunérations de cotisations maladie et vieillesse sans que cela corresponde à des prestations effectives ;
– des conditions de logement et de vie déplorables, l’absence de services de base, notamment l’accès à l’eau et les services médicaux ;
– l’interdiction faite en général aux habitants des bateyes de cultiver des lopins de terre en marge des champs de canne ;
– le fait que souvent les champs de canne sont irrigués au détriment des cultures paysannes de la zone.
Nous savons par ailleurs que l’Union européenne se préoccupe des conditions dans lesquelles l’éthanol est produit.
Notre attention a donc été attirée par des articles de presse annonçant que :
– EDF Energies nouvelles allait détenir 25 %, puis sans doute 50 %, du capital d’une société qui rassemblera les activités de production et de distribution d’éthanol d’Alcofinance.
– la filiale dominicaine d’Alcofinance, Alcor Dominicana, était en train d’acquérir au moins 50 km2 dans la province de Monte Plata, pour y planter de la canne à sucre et construire une importante usine d’éthanol ; que cette usine complètera la récolte en se fournissant en canne auprès de planteurs, afin de pouvoir broyer 1,4 million de tonnes de canne (ce que coupent habituellement à la machette plusieurs milliers de « braceros » pendant une saison).
Au vu des conditions dans lesquelles la canne est cultivée et coupée actuellement en République dominicaine, qui ne sont conformes ni à la législation dominicaine ni aux conventions internationales, nous sommes donc inquiets du projet de production d’éthanol auquel EDF Energies nouvelles entend participer dans ce pays.
Nous vous serions donc reconnaissants de nous apporter des éclaircissements sur vos projets en République dominicaine. Nous sommes particulièrement soucieux et attentifs en ce qui concerne les conditions d’embauche, de rémunération, de travail, de logement et de vie du personnel de l’usine d’éthanol et des plantations qui la fourniront en canne et ce, quelle que soit la tâche effectuée par ces ouvriers, que ces plantations appartiennent à la société dans laquelle s’engage EDF Energies nouvelles ou à des planteurs indépendants.
Nous insistons en particulier sur le respect des articles 146, 163, 164, 165, 193 et 245 du Code du travail dominicain, de la loi 1886 sur la sécurité sociale, de la loi 385 sur les accidents de travail, de la Convention américaine sur les droits économiques, civiles et politiques des personnes (notamment son article 7), dont la République dominicaine est signataire. Enfin, sur le respect de la Convention internationale sur la protection des travailleurs migrants et des membres de leur famille du 18 décembre 1990.
Sachant que l’usine d’éthanol sera implantée dans une province particulièrement pauvre et que, d’après un article paru dans la presse dominicaine, elle a la garantie de bénéficier d’un statut de zone franche, nous aimerions savoir si, en contrepartie des taxes qu’elle n’aura pas à payer, il est prévu qu’elle contribue à l’amélioration des conditions de vie des habitants de la région, notamment en participant au développement des services de base, particulièrement les services qui permettront un développement de l’agriculture pour assurer la satisfaction des besoins alimentaires de la région concernée.
Le Collectif Haïti de France est à votre disposition pour vous fournir les informations qui pourraient vous être utiles.
Avec la conviction que vous tenez à ce que les filiales d’EDF Energies nouvelles, où qu’elles soient dans le monde, respectent la législation et donnent l’exemple d’un comportement éthique, nous vous prions de croire en nos sentiments respectueux.
Collectif Haïti de France