Le Père Jean -Marie Vincent assassiné une deuxième fois :

Le RNDDH dénonce le caractère complaisant de l’Arrêt-Ordonnance de la Cour d’Appel de Port-au-Prince et crie au scandale

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Le 28 août 1994, aux environs de 8 :00 P.M., le Père Jean-Marie Vincent a été assassiné au volant de sa voiture, à la rue Baussan, devant le portail d’entrée de la maison des Monfortain. L’enquête ouverte et poursuivie s’est heurtée à des difficultés de tous ordres. Quatre (4) juges d’instruction ont travaillé sur le dossier. Il s’agit de Mes Bernovil Audate, Joseph Edner Jean-Pierre, Jocelyne Pierre et Jean Sénat Fleury. Neuf (9) ans après cet assassinat spectaculaire, soit le 15 septembre 2003, le Juge Jean Sénat Fleury rendit l’ordonnance au dispositif suivant :

« Par ces motifs, conformément à la loi, disons que les charges sont suffisantes et qu’il y a lieu à suivre contre les inculpés : Jackson Joanis, ex-Capitaine des Forces Armées d’Haïti, Irvin Méhu, ex-Colonel des Forces Armées d’Haïti, Gary Etienne, Rémy Lucas, Gervais Poitevin, Nicol Poitevin, Hérold Cloiseau, Grégory Ligondé, Léonard Lucas, Patrick Lucas, Lieutenant Hérard dit "ti lieutenant", etc.

Les renvoyons tous par devant le Tribunal Criminel de Port-au-Prince siégeant avec l’assistance du jury pour y être jugés sous l’inculpation des faits à eux reprochés. Les inculpés Jackson Joanis, Irvin Méhu, Hérold Cloiseau, comme auteurs matériels – Gary Etienne, Grégory Ligondé, comme complices – Rémy Lucas, Nicol Poitevin, Gervais Poitevin, Lieutenant Hérard dit Ti Lieutenant, Léonard Lucas, Patrick Lucas, comme auteurs intellectuels de l’assassinat sur la personne du Père Jean-Marie Vincent aux termes des articles 240, 241, 242, 247 et 249 du Code Pénal.

Ordonnons que tous les inculpés ci-dessus soient pris de corps au terme de l’article 120 du Code d’Instruction Criminelle.

Rendue par nous, Me Jean Sénat Fleury, Juge d’Instruction près le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, en notre Chambre d’Instruction Criminelle, ce lundi quinze septembre deux mille trois avec l’assistance du sieur Chavannes Audate, Greffier.

Il est ordonné à tous les huissiers sur ce requis de mettre la présente ordonnance à exécution, aux Officiers du Ministère Public auprès les Tribunaux Civils d’y tenir la main, à tous Commandants et autres Officiers de la Force Publique d’y prêter main forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, la minute de la présente ordonnance est signée du Juge et du Greffier sus-dits. »

Cette ordonnance fut signifiée aux inculpés le dix neuf septembre deux mille trois. Les inculpés Rémy Lucas et Jackson Joanis, non satisfaits, en relevèrent Appel. La Cour d’Appel de Port-au-Prince, motif pris du fait, d’une part, que l’Ordonnance du 15 septembre 2003 n’a pas été signée par le Greffier et, d’autre part, que l’œuvre du premier Juge est axée sur des déclarations contradictoires de Youri Latortue et de Jackson Joanis qui n’ont pas été confrontés, s’est abstenue de décider jusqu’à ce que le jour soit fait sur l’assassinat par cet Arrêt avant dire – droit du 22 novembre 2003 au dispositif suivant :

« Par ces motifs, le Ministère Public entendu et après délibération en la chambre du conseil au vœu de la loi, reçoit, en la forme, l’appel des sieurs Jackson JOANIS et Lucas REMY exercé les vingt-trois et trente septembre deux mille trois contre l’Ordonnance du Cabinet d’instruction du tribunal de Première Instance de Port-au-Prince en date du quinze septembre deux mille trois, signifiée le dix neuf du même mois de l’année en cours, infirme l’ordonnance querellée ; ordonne une nouvelle instruction qui consiste à entendre tous les acteurs dont les noms sont cités, à les interroger, les confronter particulièrement le trio Alpinal – Latortue et Joanis.

Pour ce faire, la cour donne délégation au juge Kesner MICHEL THERMEZI qui réalisera cette mesure et dressera un rapport détaillé, qui sera déposé au greffe de la Cour ; Dit que l’arrêt sera signifié à toutes les parties ; Accorde un délai de huit jours, à partir de la signification de l’arrêt, pour la réalisation de cette mesure ; Dit que la Cour sortira une Ordonnance définitive à partir de la réalisation de la mesure tout en se réservant quant à présent, le droit de statuer sur les chefs de demande.

Donné de Nous, Jules Cantave Président de la Première Section, Kesner Michel THERMEZI et Norah Jean François, Juges en audience publique à l’extraordinaire des affaires pénales du jeudi vingt sept Novembre deux mille trois, en présence de Me Robert GUILBAUD Substitut Commissaire du Gouvernement de ce ressort, remplissant la fonction de Ministère Public et avec l’assistance du greffier du siège Pierre Alex DUVERT.

Il est ordonné à tous huissiers sur ce requis de mettre le présent arrêt à exécution, aux officiers du Ministère Public près les Tribunaux Civils d’y tenir la main à tous commandants et autres officiers de la force publique d’y prêter main forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, la minute du présent arrêt est signée du Président, des juges et du greffier.

Ainsi signé : Jules CANTAVE, Kesner Michel THERMEZI, Norah JEAN FRANCOIS, Pierre Alex DUVERT greffier du siège. »

Le Juge Kesner Michel Thermezi ayant été promu Substitut Commissaire du Gouvernement à la Cour de Cassation, la mesure d’instruction ordonnée a été réalisée par les juges Gabriel R. Castor et Joseph Emmanuel Saint-Amour.

Le 1er juin 2005, la Cour a rendu un Arrêt-Ordonnance définitif au dispositif suivant :

« Par ces motifs, la Cour après avoir délibéré au vœu de la loi, faisant œuvre nouvelle dit et déclare que les appelants Rémy LUCAS et Jackson JOANIS n’ont pas de charges ou d’indices suffisants capables de les retenir dans les liens de l’inculpation, déclare en outre qu’il n’y a pas lieu de suivre contre eux ; Ordonne en conséquence conformément à l’article 115 C I C qu’ils soient mis immédiatement en liberté, s’ils ne sont retenus pour autres causes ; Ordonne de plus à la force publique de rechercher le ou les auteurs, des complices de ce crime crapuleux qui ne doit pas rester impuni et de les référer par devant qui de droit. Article 115 C I C.

Donné de nous, Jules CANTAVE, Président de cette section de la Cour d’Appel de Port-au-Prince, Norah A. JEAN-FRANCOIS et Emmanuel JOSEPH SAINT-AMOUR Juges en audience publique ordinaire des affaires Pénales du mercredi premier Juin deux mille cinq, avec l’assistance de notre greffier Pierre Alex DUVERT.

Il est ordonné à tous huissiers sur ce requis de mettre le présent arrêt à exécution, aux officiers du Ministère Public près les Tribunaux Civils d’y tenir la main à tous commandant et autres officiers de la force publique d’y prêter main forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, la minute du présent arrêt est signée du Président, des juges et du greffier.

Ainsi signé : Jules CANTAVE, Norah A. JEAN FRANCOIS, Emmanuel Joseph SAINT AMOUR et Pierre Alex DUVERT Greffier du siège. »

I. Caractère fantaisiste de l’Arrêt-Ordonnance du 1er juin 2005

Les juges de la Cour d’Appel de Port-au-Prince, par l’Arrêt-Ordonnance du 1er juin 2005, ont assassiné une deuxième fois, le père Jean Marie Vincent. Ils n’ont pas analysé l’espèce avec rigueur. Au contraire ! Ils ont fait preuve d’une étonnante complaisance vis-à-vis des suspects. Ils n’ont pas pris en compte des indices pertinents, ils sont passés à côté de leur mission et ont violé leur propre Arrêt avant-dire droit.

Selon une jurisprudence constante de la Cour de Cassation de la République « de simples indices autorisent le renvoi d’un inculpé devant un tribunal de répression. » (Me Jacob Jn Baptiste, Cass. H., Bulletin des Arrêts de la Cour de Cassation, T.IV, année 1985, p.166) ;

La Cour d’Appel saisie de l’Appel d’une ordonnance du juge d’instruction siège dans les mêmes qualités et attributions du juge d’instruction et est tenue de renvoyer par devant le Tribunal Criminel le prévenu contre qui des indices graves et concordants sont relevés. Dans ce dossier la Cour a mis de côté les indices suivants :

– Le prévenu Gary Etienne, cousin du Père Jean-Marie Vincent, arrivé sur les lieux du crime s’est écrié : « a pa se kouzen-m nan nou touye a » ; Il a déclaré en outre à la sœur du Père Jean-Marie Vincent, qu’il n’a aucune implication dans le crime et que si son nom est cité dans cette affaire c’est parce qu’il a passé tout l’après-midi du dimanche 28 août 1994 avec le capitaine Jackson Joanis dans sa voiture ; Il est le premier, quelques minutes seulement après l’assassinat, à avoir annoncé la nouvelle à la sœur de la victime à New-York. Invité au Cabinet d’Instruction pour s’expliquer Gary Etienne a préféré s’enfuir vers l’étranger ;

– Plusieurs Prêtres Monfortain entendus au Cabinet d’Instruction ont confié que l’ex-Capitaine Jackson Joanis est arrivé en premier sur les lieux du crime ;

– Jackson Joanis affirme avoir trouvé 6 à 8 douilles de calibre 5.56, des lettres des T.K.L. adressées à Jean-Bertrand Aristide. Mais le Juge verbalisateur, Me Julien Eustache, interrogé au cabinet d’instruction, confie que la clé du véhicule du défunt se trouvait entre les mains de l’ex-capitaine Joanis qui a ouvert le véhicule pour lui permettre de faire le constat et qu’en dehors du corps de la victime il n’a rien trouvé ni à l’intérieur ni à l’extérieur de la voiture : pas de douilles, pas de sac à mains, pas de papiers, pas de documents ou autres ;

– L’ex-capitaine Joanis déclare au Cabinet d’Instruction qu’après avoir entendu de chez lui étant des coups de feu dont la cadence attirait son attention, il a appelé par radio de communication le sous-lieutenant Youri Latortue pour lui demander de patrouiller la zone.

De son côté Youri Latortue déclare au Cabinet d’Instruction que l’ex- Capitaine Joanis avait informé le service par téléphone des tirs et avait parlé, en la circonstance, au caporal de garde qui lui a fait part de la nouvelle et qu’il avait dépêché sur les lieux l’adjudant Alpinal. En rejoignant sur les lieux le lieutenant Alpinal, Youri Latortue déclare au juge d’Instruction, sous la foi du serment : « Alpinal me remit deux (2) douilles de calibres 5.56 et me dit que d’après les informations reçues des gens de la zone deux (2) personnes armées de galil auraient accompli le crime et ont continué la route à pied en direction de Bois-Verna. »

Cette déclaration est démentie par l’adjudant Jean Alpinal qui, interrogé sous la foi du serment par le juge Gabriel R. Castor de la Cour d’Appel de Port-au-Prince, a déclaré : « Le jour de l’assassinat du révérend Père Jean Marie Vincent, j’étais en liberté. Le lendemain en route pour reprendre mon poste j’ai appris par la radio qu’on a assassiné le Père Jean-Marie Vincent. »

Qui du trio Joanis – Latortue – Alpinal a donc menti à la justice ?

Le mensonge n’est-il plus un indice susceptible de renvoyer un prévenu au tribunal répressif ? La contradiction et la fuite ne sont-elles plus des indices ? Le faux témoignage en justice n’est-il plus sanctionné par la loi ? Pourquoi le caporal de garde n’a été ni identifié, ni entendu ?

II. Excès de pouvoir des juges de la Cour d’Appel de Port-au-Prince

Il est de principe qu’il y a excès de pouvoir quand un juge fait ce qu’il n’aurait pas dû faire ou ne fait pas ce qu’il aurait dû faire.

La mission de tout juge d’Instruction est d’abord de rassembler les preuves de l’infraction avec l’aide de la Police Judiciaire et de constituer le dossier du procès pénal, puis cette tâche remplie, il statue sur les charges relevées, qualifie les faits retenus, renvoie l’inculpé devant la juridiction compétente.

Dans cette affaire la Cour d’Appel de Port-au-Prince déclare « écarter de tout soupçon les témoins Youri Latortue et Apinal Jean ». La Cour prétend que ces deux (2) témoins ont aidé la Cour en parlant très clairement comme ex-militaires (Sic).

Pourtant les déclarations de ces témoins par devant la Cour sont contradictoires. Que signifie donc pour la Cour « parler clairement comme ex-militaires » ? En quoi ont-ils aidé vraiment la Cour puisqu’aucune lumière n’est faite sur le crime ? Quelle disposition de loi donne compétence à la Cour pour placer un témoin au-dessus de tout soupçon ? Un témoin qui a menti en plus !

De plus la Cour en rendant une ordonnance de non lieu en faveur des appelants Rémy Lucas et Jackson Joanis n’a pris aucune décision en ce qui à trait aux inculpés Irvin Méhu, ex-Colonel des Forces Armée d’Haïti, Gary Etienne, Gervais Poitevien, Nicole Poitevien, Hérold Cloiseau (identifié comme celui qui a appuyé sur la gâchette), Grégory Ligondé, Léonard Lucas, Patrick Lucas et Lieutenant Hérard dit « ti lieutenan ». Pas un mot n’a été dit au sujet de ces prévenus. La Cour en infirmant l’Ordonnance du Juge Jean Sénat Fleury s’était donnée pour mission de clarifier les dépositions contradictoires de Youri Latortue et Alpinal Jean avant de décider. Ces contradictions sont renforcées avec la confrontation de Youri Latortue, Jackson Joanis et Alpinal Jean.

La Cour ordonne enfin à la Force Publique de rechercher les auteurs et complices de ce crime crapuleux et de les déférer par devant qui de droit. Ce faisant la Cour demande à la Police de faire ce que la Justice n’a pas pu faire après onze (11) ans d’enquête. Comme si la police avait le pouvoir d’instruire. Quelle plaisanterie !

III. Incohérence des juges de la Cour d’Appel de Port-au-Prince

Il est de principe que les tribunaux sont liés par leurs décisions. La première personne appelée à respecter une décision de Justice est le juge qui l’a rendue. Les juges de la Cour d’Appel de Port-au-Prince n’ont eu aucun égard pour ce principe.

Le jeudi 27 novembre 2003 la Cour d’Appel de Port-au-Prince a décidé qu’une confrontation entre Alpinal, Latortue et Joanis était indispensable pour la manifestation de la vérité. C’est sur cette base, que la Cour s’est abstenue de décider, jusqu’à ce que le jour soit fait sur l’assassinat. Deux (2) ans plus tard la Cour a décidé sans que le jour soit fait sur l’assassinat. La Cour a donc violé son propre Arrêt. Pire, elle n’a tiré aucune conséquence de droit de la mesure d’instruction qu’elle a elle-même ordonnée. Le sentiment a pris le pas sur la justice.

Conclusion

L’Arrêt-Ordonnance de la Cour d’Appel de Port-au-Prince sur le dossier relatif à l’assassinat du père Jean Marie Vincent constitue une preuve supplémentaire de l’incapacité de l’Appareil Judiciaire à répondre aux revendications de justice du peuple haïtien. Il constitue un témoignage éloquent du manque de sérieux qui caractérise le traitement des dossiers criminels au niveau de la justice. Le système étale au grand jour son inefficacité et son inefficience.

L’Ordonnance du Juge Sénat Fleury renvoyant par devant le Tribunal Criminel avec assistance de Jury onze (11) présumés assassins (auteurs, commanditaires et complices) de Jean-Marie Vincent a été infirmée parce que le Greffier du Juge d’Instruction, M. Chavannes Audate, n’a pas signé l’Ordonnance. Pourquoi ne l’a-t-il pas signée ? Est-ce une négligence ou un acte délibéré ? Personne ne le saura. Mais neuf (9) années d’enquêtes réalisées par quatre (4) Juges d’Instruction sont réduites à néant par le seul fait que le Greffier n’a pas signé l’Ordonnance de Clôture. Quelle Justice ?

La Cour d’Appel a ordonné une nouvelle instruction mais n’a réalisé en fait qu’un supplément d’information. Pourtant elle n’a tenu compte d’aucun acte posé par les Magistrats Instructeurs.

La Cour d’Appel de Port-au-Prince déclare ne pas pouvoir renvoyer par devant le Tribunal Criminel le prévenu Rémy Lucas parce que le Prêtre assassiné projetait de présenter en septembre 1994 (soit un mois après sa mort) sur les fonds baptismaux les enfants du prévenu. Quelle bouffonnerie !

En plaçant le témoin Youri Latortue au-dessus de tout soupçon sans indiquer le texte de loi les habilitant à prendre pareille décision, les juges de la Cour d’Appel de Port-au-Prince donnent un caractère conjoncturel à leur décision et démontrent à quel point la politique continue d’influencer la justice. Peut-on parler d’indépendance de la Magistrature si les juges ne sont pas préparés mentalement à être indépendants ?
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