Par Robert Berrouët-Oriol

Tenu en présentiel et en ligne le 19 août 2022 et organisé par le Cidihca à Montréal, le « Séminaire » animé par Jean Marie Théodat1, agrégé de géographie de la Sorbonne, avait pour thème « Les enjeux de la reconstruction en Haïti ». Le géographe-conférencier, au cours de ce « Séminaire », a brièvement évoqué la dimension linguistique de tout processus de reconstruction en Haïti, et il a employé à plusieurs reprises une expression créole qui interpelle la réflexion : « kreyòl machòkèt ». Jean Marie Théodat intègre dans sa démarche scientifique d’enseignant-chercheur une essentielle réflexion sur la problématique linguistique haïtienne. En témoigne son article « Haïti, le français en héritage » / Perspectives haïtiennes de la francophonie (revue Hermès n° 40, CNRS, 2004/3, Paris), qui consigne un éclairage de premier plan sur l’historicité de la langue française en Haïti. Au chapitre de sa réflexion sur l’aménagement du créole en Haïti aux côtés du français, Jean Marie Théodat est l’auteur d’un remarquable article ayant pour titre « Jewografi  kreyòl » paru en octobre 2017 sur le site berrouet-oriol.com et par la suite sur le site espas kreyòl.com le 26/8/2919.

Incursion au périmètre du mot « machòkèt »

L’expression « kreyòl machòkèt » interpelle la réflexion pour plusieurs raisons abordées dans cet article. D’usage courant chez les locuteurs créolophones, le terme « machòkèt » est défini comme suit dans le « Haitian Creole-English Dictionary » de Jean Targète et Raphael G. Urciolo (Éditions dp Dunwoody Press Kensington, Maryland, U.S.A., 1993) : « Blacksmith, tinker, potter / Anyone not skilled in the use of the tools of the trade » (page 121). Dans ce dictionnaire unidirectionnel créole-anglais, « machòkèt » renvoie indistinctement à « Blacksmith, tinker, potter » qui ont pour équivalents français « forgeron, bricoleur, potier » [ma traduction]. Pour les auteurs de ce dictionnaire, le mot « machòkèt » est un substantif étiqueté « n » (nom), et ils ne relèvent aucune forme adjectivale de ce terme. Dans ce dictionnaire, « machòkèt » désigne « Toute personne ne sachant pas utiliser les outils d’un métier » [ma traduction]. On notera au passage que seul le terme « bricoleur » s’apparie véritablement aux sèmes définitoires généraux compris dans l’énoncé « Toute personne ne sachant pas utiliser les outils d’un métier » et que cette définition ne s’applique pas restrictivement au forgeron et au potier : un ouvrier peut ainsi être qualifié de « bos machòkèt » dans les domaines de l’électricité, de la mécanique, de la menuiserie, etc. Autre étonnante curiosité de ce dictionnaire : un grand nombre de termes figurant en entrée est assorti du déterminant postposé « a » ou « an », « la » ou « lan » ou « nan », ce qui constitue une anomalie dans la présentation des rubriques lexicographiques. Le terme « machòkèt » est employé règle générale dans une configuration adjectivale (exemple : dans « bos machòkèt », le terme « machòkèt » est un adjectif qui qualifie le nom « bos »).  Dans une configuration nominale, le locuteur dira plus rarement yon « machòkèt » pour signifier yon « bos machòkèt » : le terme « machòkèt » apparait ici dans un environnement [+ humain] où c’est l’être humain qui est caractérisé sur le registre de la compétence/incompétence professionnelle.  Le terme « machòkèt » ne s’applique pas aux objets inanimés tels que table, mur, arbre, et la « sémantique interne » du locuteur créolophone ne lui permet pas de générer des expressions telles que yon « kay machòkèt », yon « machin machòkèt », yon « lajan machòkèt ». Mais il semble, en toute hypothèse, que le locuteur dira yon « liv machòkèt », yon « leksik machòkèt » –pour qualifier par exemple un ouvrage aussi médiocre au plan lexicographique que le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative »– car « liv » et « leksik » sont dotés du trait [+ humain]. 

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