Au 18ème siècle, Modeste Testas a été achetée par deux frères bordelais, et déportée à Saint-Domingue. Une statue à son effigie est inaugurée ce vendredi quai Louis XVIII, pour commémorer le passé négrier de Bordeaux et l’abolition de l’esclavage.
Elle a le menton fièrement levé et le regard tournée vers l’estuaire : la statue de Modeste Testas est inaugurée ce vendredi quai Louix XVIII à Bordeaux, face à la Bourse maritime. Une orientation symbolique : l’estuaire, c’est là d’où partaient les bateaux négriers en direction des Antilles entre la fin du 17ème siècle et le début du 19ème siècle. A cette époque, Bordeaux est le premier port colonial pour le commerce en droiture et le troisième pour la traite négrière. 150 000 esclaves ont été déportés.
Bordeaux face à son passé
Modeste Testas était une jeune Éthiopienne, capturée, vendue et achetée par deux frères bordelais au 18ème siècle, Pierre et François Testas. Elle est déportée à Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti), sur la propriété de François Testas, qui a une plantation de canne à sucre et de coton. Son frère vendait dans sa maison de négoce à Bordeaux le produit de cette propriété esclavagiste. "Pendant plus de dix ans, elle est à la fois l’esclave et l’esclave sexuelle de son maître Testas" explique Carole Lemee, anthropologue, chercheuse associée au laboratoire CNRS Passage, enseignante à l’université de Bordeaux. "Son maître, sur son lit de mort, a décidé de l’affranchir. Elle a eu des enfants, l’un de ses petits-fils a été président d’Haïti."
Modeste Testas, symbole de tous les esclaves d’hier et d’aujourd’hui
L’une des descendantes de Modeste Testas, Lorraine Manuel Steed, a fait le chemin depuis Haïti pour l’inauguration. Pendant treize ans, elle a fouillé les archives de sa famille pour reconstituer son histoire. Six générations après, à 58 ans, elle est très émue de voir son aïeule devant la Bourse maritime de Bordeaux : "Il ne faut pas oublier ce qui s’est passé, le lien à l’époque entre Bordeaux et Saint-Domingue, Haïti, est douloureux. Elle a été arrachée à sa famille très jeune, elle est arrivée à Saint-Domingue à seize ans, on lui a changé son nom, elle n’a pu jamais revu sa famille. On est là pour honorer sa mémoire mais aussi celle de tous ceux qui ont connu l’esclavage et qui le connaissent encore aujourd’hui."
En bronze, la statue a été réalisée par un jeune artiste haïtien, en formation à la fonderie des cyclopes pendant trois mois à Mérignac. Filipo, 26 ans, se dit fier de contribuer artistiquement à ce travail de mémoire : "Cette histoire me parle car je suis descendant d’esclaves, il ne faut pas oublier qu’Haïti était la première république nègre indépendante. Cette statue, c’est mon histoire."