incident de martissant : le rnddh fait le point

introduction

Suite à des interventions de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) et de la Police Nationale d’Haïti (PNH) dans des quartiers sensibles de la capitale, certains bandits armés de Bel-Air, Solino, Village de Dieu, Delmas II ont pris refuge dans les zones de Martissant et de Gran Ravin. La présence de ces bandits surnommés « Argentins » par les riverains est signalée à la PNH.

L’arrivée de ces bandits dans ces zones tendait à renforcer les gangs armés déjà existants et à faire du quartier de Martissant une nouvelle zone de non droit dans la capitale. Depuis l’incident de Solino où cinq (5) présumés bandits ont été lynchés par la population civile, un climat de tension régnait dans la zone, des tracts circulaient, invitant les habitants du quartier de Martissant à imiter l’exemple de Solino pour se débarrasser des bandits et mettre fin aux exactions souvent commises par ces derniers sur des membres de la population civile telles viol, vol à mains armées, kidnapping, extorsions d’argent, tortures, coups et blessures volontaires, etc.

La population était donc prédisposée à réagir.

Le Parc Sainte Bernadette, théâtre de nombreuses manifestations sportives et culturelles attirait toutes les couches de la population dont, évidemment, des civils armés. C’est donc, pour capturer des bandits recherchés par la police que le 20 août 2005, des unités spécialisées de la PNH sont intervenues au Parc Sainte Bernadette à l’occasion d’un match de football auquel assistaient plus de six mille (6000) spectateurs. Cette intervention est tournée au drame. C’est pour faire le jour sur ce qui s’est passé que le RNDDH a diligenté une enquête, objet du présent rapport.

I. méthodologie

La méthodologie utilisée dans le cadre de cette enquête consiste à :

1. Observer les lieux;

2. S’entretenir avec :
a) Les autorités judiciaires ;
b) Les autorités policières ;
c) Les responsables de Droits Humains de la MINUSTAH ;
d) Les Responsables de la Morgue de l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH).

3. Rencontrer
a) Des témoins ;
b) Des résidents de la zone ;
c) Les Responsables du Parc Sainte Bernadette ;
d) Certaines victimes.

II. présentation du parc sainte bernadette

Situé dans la localité de Martissant, 3ème circonscription de Port-au-Prince, derrière l’Eglise Sainte Bernadette, à quelques mètres du Sous commissariat, le Parc Sainte Bernadette, cet été, a été le théâtre de l’organisation de plusieurs activités récréatives patronnées par l’Organisation Internationale de la Migration (OIM) et la Secrétairerie d’Etat à la Jeunesse, aux Sports et à l’Education Civique (SEJSEC) telles que : camp d’été, danse, cantine scolaire, football, basket-ball etc.

III. expose des faits

Le samedi 20 août 2005, aux environs de cinq heures P.M., au Parc Sainte Bernadette, un match de football, mettant aux prises l’équipe Sel Nou k konsa à celle de Sentinelle, a réuni plus de six mille (6000) spectateurs. Durant la pause, un tract, invitant la population à collaborer avec la Police pour traquer les bandits armés, circulait sur le terrain. En voici la teneur :

« La Police + Pèp = Solisyon
Kominike !!!
Pèp Matisan, 4èm, 5èm ak moun gran Ravin ki pa dakò pou zòn nan tounen Site Solèy, Bèlè ak Solino leve kanpe pou nou di non ak asasen, non ak vòlè, kidnapè, non a kadejakè, ak tout moun ki fè Matisan tounen basen san. Se pou nou fè menm jan ak fanm vanyan, ak nèg vanyan tankou vilaj Dedye, Solino pou nou ka kwape Rat Bèlè, Rat Solèy, Rat Vilaj Dedye ak tout Rat Gran Ravin ki pran azil nan ravin nan e ki mete popilasyon Matisan an danje. Se pou nou ame nou ak tout sa nou genyen tankou manchèt, baton, boutèy, wòch e lapolis nasyonal nou an ansan m avèk nou se pou nou bay polis yo tout enfòmasyon sou tout kote Rat yo ye.

Pou nou ka rale yon souf nan Matisan. E pou manman pitit sispan-n gade pitit yo k ap viktim anba bal epi kadejak san yo pa ka di yon mo.

Li lè li tan pou enpinite kaba nan Matisan.
La Police + Pèp = Solisyon »

Au moment où les arbitres s’apprêtaient à donner le coup d’envoi de la seconde période, des policiers vêtus de noir ont investi le Parc. Ils ont été chaudement ovationnés par le public pensant qu’ils étaient venus assurer la sécurité de la rencontre. Réginald Michel, qui lui-même a été contraint d’abandonner la zone, accompagnait la Police, il s’est mis à identifier les présumés bandits de Gran Ravin qui assistaient au match. Un coup de feu est parti de l’extérieur. Certains bandits, pour s’échapper, ont sauté par-dessus les murs de barrage du parc. Dans leur fuite, ils ont eu le temps de tuer le principal informateur de la Police, Réginald Michel, bien connu dans le milieu ; celui-ci agissait à visage découvert et sans couverture particulière. Les policiers ont réagi en tirant en l’air et ceci a créé un vent de panique portant les gens à courir dans toutes les directions.

Les policiers ont invité le DJ Crazy Sound qui assurait l’animation à demander au public de se coucher par terre. Compte tenu de l’immensité de la foule, les responsables de l’association sportive du Parc Sainte Bernadette sont intervenus auprès des policiers pour les conseiller d’évacuer le Parc plutôt que de demander aux spectateurs de se coucher. Dans la foulée, des riverains, ayant appris que la police a encerclé les bandits au parc se sont accourus vers le lieu de l’évènement avec des machettes et ont eu des altercations avec les fugitifs.

Des spectateurs ont été attaqués à coups de machettes et à l’arme à feu.

IV. bilan

Il est difficile de faire le bilan des personnes tuées et blessées dans le cadre de ces événements. Les informations recueillies sur place font état d’une cinquantaine de blessés et près d’une trentaine de morts. Cependant, les recherches du RNDDH lui ont permis de répertorier quatre (4) blessés dont un par balles, dix (10) morts dont six (6) ont été admis à la morgue de l’Hôpital de L’Université d’Etat d’Haïti (HUEH) :

· Réginald Michel, 26 ans, a été atteint de plusieurs projectiles à la tête;
· Nesdou Févry, 24 ans, a reçu deux (2) balles à l’abdomen, d’autres blessures au dos sont assimilables à des traces de balles. Son bras droit porte des traces de machettes;
· Denis Jean Marie, 17 ans, a été atteint de deux (2) projectiles au niveau de la tête et deux autres (2) au dos;
· Grégory Odicé, 28 ans, a reçu deux (2) projectiles à la tête ;
· Frank Herne, tué à coups de machettes ;
· Alcidas Erinel, tué par balles et à coups de machettes

Les quatre (4) autres tuées selon les personnes rencontrées répondent au nom de :
· Guignol Saint Félix
· Ti Blanc ainsi connu;
· Wasnay ainsi connu (Tués par balles)
· Dent Cassée ainsi connu

Les blessés sont les suivants :
· Jocelyn, 18 ans : atteint de deux (2) projectiles au niveau de la cuisse et de la main droites ;
· Enock Laplante alias Arthur : blessé à coups de machettes;
· Junior Cadet : blessé à l’arme blanche à la plante du pied gauche;
· Winzor Michel : fracturé au pied gauche.

La difficulté d’arriver à un bilan définitif vient du fait que :
· Toutes les personnes blessées ne se seraient pas fait soigner à l’Hôpital ;
· Les corps de toutes les personnes tuées n’auraient pas non plus été transportés à la morgue de l’HUEH.


VI. faits subséquents

Le dimanche 21 août 2005, soit un (1) jour après les événements, des agents de la PNH ont effectué une décente des lieux à Gran Ravin fief de Wilkens Pierre alias Chencho, Legony et Sasson ainsi connus. Au cours de l’opération trois (3) maisons appartenant au trio susmentionné auraient été incendiées et plusieurs personnes blessées.

Une semaine après les événements du 20 août 2005, les enquêteurs du RNDDH ont trouvé une situation relativement calme. Cependant, au Parc Sainte Bernadette, les activités récréatives prévues ont été perturbées : Le Camp d’été fixé du 16 août au 4 septembre 2005, a accusé un net ralentissement. Sur trois cents (300) participants ordinairement attendus, une vingtaine seulement s’est présentée ; le championnat de football arrivé au quart de final est discontinué.

Plusieurs personnes interrogées font état de l’existence d’un groupe dénommé Lame Manchèt qui serait proche de la Police Nationale d’Haïti. Les membres de ce groupe se seraient armés de machette pour résister aux bandits armés. Les personnes tuées ou blessées à coups de machettes auraient été attaquées par les membres de cette armée.

VII. analyse des faits

Les événements de Martissant constituent d’abord et avant tout un témoignage éloquent du désir des résidents des quartiers populaires de vivre en paix, dans la sécurité et confirment que la violence associée à ces quartiers ne leur est imposée que par la force :

Ø Les policiers ont été ovationnés à leur entrée dans l’enceinte du Parc Sainte Bernadette ;

Ø Des tracts favorables à la PNH et invitant à combattre l’impunité circulaient sur le terrain ;

Ø Au cri de : « La Police a encerclé les bandits au Parc », des riverains ont accouru avec des armes contondantes pour pourchasser les bandits en fuite ;

Ø D’une manière générale, l’arrivée des bandits en provenance du Bel-Air, de Solino, de Village de Dieu est vécue au niveau de la population, comme une grave menace pour la paix dans le quartier.

L’intervention de la Police représente, par contre, un immense gâchis :

Ø L’intervention s’est soldée par un échec cuisant. Elle est passée à côté de son objectif : mettre hors d’état de nuire les bandits de Gran Ravin. Ces hommes armés sont en effet revenus sur les lieux dans la soirée pour exercer des actions de représailles et ont exécuté Guignol Saint Félix ;

Ø La police a galvaudé toute la confiance placée en elle dans la zone ;

Ø La situation sécuritaire, loin de s’améliorer, s’est dégradée ;

Ø L’opération a fait et/ou occasionné des victimes innocentes ;

Ø Les bandits sont sortis renforcés ;

Ø La vie associative a pris un rude coup et les efforts consentis pour redonner vie à ce quartier par l’organisation d’activités sportives et récréatives sont anéantis ;

Ø La panique est créée par les bandits de Gran Ravin pour organiser leur fuite, qui ont, à l’occasion, fait preuve d’une plus grande intelligence tactique que les policiers.

L’intervention du 20 août 2005 a été, sur le plan technique, un véritable désastre :

Ø La police est intervenue, du moins c’est l’impression qu’elle laisse, sans avoir compilé des informations pertinentes sur le lieu de leur intervention et les personnes recherchées ;

Ø L’opération n’a pas été planifiée de manière minutieuse ;

Ø La police reconnaît que les ressources matérielles et humaines utilisées étaient totalement insuffisantes. Elle a mobilisé trente (30) policiers pour une intervention qui nécessitait au moins cent cinquante (150) policiers. Sur les trente (30) policiers participant à l’opération, seulement dix (10) ont pénétré l’enceinte du parc pour contrôler, cibler et arrêter une trentaine de bandits de grand calibre, noyés dans la foule des spectateurs. Non seulement l’intervention était inéluctablement vouée à l’échec mais, elle a été réalisée en méprisant de manière superbe la règle : « Réduire les risques autant que possible. »

Même si les policiers ont agi de bonne foi pour tenter de mettre hors d’état de nuire les bandits de Gran Ravin, la bravade du 20 août 2005 est condamnable.

VIII. conclusions et recommandations

Les événements du 20 août 2005 représentent une grande bavure policière. Si l’objectif de la police était de procéder à l’arrestation d’un nombre important de bandits pour éviter que la zone de Martissant ne se transforme en zone de non droit, force est d’admettre cependant que :

Ø Le moment était très mal choisi. Il est tout simplement inconcevable que la Police intervienne à l’occasion d’un match de football exposant par ainsi la vie des joueurs et des spectateurs ;

Ø L’opération a été conduite avec légèreté, les policiers du commissariat de Martissant ayant une bonne connaissance des gens et du milieu n’ont pas été associés à l’intervention.;

Ø La PNH a fait preuve d’un grand déficit de professionnalisme. Elle a perdu dès le début de l’opération, son principal informateur, sans réussir à capturer un seul des bandits recherchés ;

Ø S’il est vrai qu’elle ne recherchait pas le massacre, La Police en a, cependant involontairement, créé les conditions ;

Ø La PNH n’a pas agi avec transparence. En dépit de toutes les démarches effectuées auprès de la PNH, le RNDDH n’est toujours pas en mesure de dire qui avait la responsabilité de conduire l’opération afin de fixer les responsabilités et éviter à l’avenir la répétition de telles bévues.

Le RNDDH n’a pas relevé qu’il y a eu distribution récente de machettes au niveau de la population civile de Martissant. L’enquête n’a pas révélé non plus que les machettes utilisées au cours de ces incidents étaient de même type, de même marque. Elles ne s’apparentaient pas à des armes spécialement préparées pour l’occasion. Le RNDDH ne peut donc confirmer ni infirmer l’existence de l’Armée Manchèt. Toutefois, il considère que la Police a grandement intérêt à aider la justice à faire toute la lumière sur cette question. Sa crédibilité en dépend. Aussi légitime que puisse être la lutte contre les kidnappeurs, les bandits armés, les violeurs, il n’est pas acceptable que la Police utilise les mêmes méthodes que les bandits. En toute circonstance et quel que soit le motif avancé, l’usage abusif de la force doit être sanctionné avec la dernière rigueur. C’est donc à ce prix que la police finira par se renforcer, se professionnaliser et par imposer le respect.

Les événements de Martissant révèlent également une forte tendance à la révolte contre les agissements des bandits au niveau de la population civile. Il y a une prédisposition à la vengeance, au lynchage. Il s’agit là d’une pente dangereuse, d’une dérive qu’il y a lieu de stopper. Et tout de suite.

Fort de ces considérations, le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) recommande aux autorités compétentes de :

Ø Mettre l’action publique en mouvement contre les auteurs, co-auteurs et complices des infractions commises à Martissant le 20 août 2005, quelle que soit leur appartenance politique et à quelque corps qu’ils appartiennent ;

Ø Mettre tout en œuvre en vue de l’établissement d’un climat de Sécurité dans les zones comme Martissant, Gran Ravin, Cité Soleil, etc. ;

Ø Prendre toutes les dispositions pour faire fonctionner le lycée de Martissant utilisé jusqu’ici pour des activités de kidnapping par des bandits armés ;

Ø Aider à la reprise, en toute sécurité, des activités sportives et récréatives au Parc Sainte Bernadette ;

Ø Identifier, arrêter et livrer à la Justice répressive tous les bandits armés opérant dans la zone de Gran Ravin, Martissant et les autres quartiers de la capitale ;

Ø Désarmer les groupes armés illégaux.