Extrait du rapport 2006 : http://hrw.org/french/

Haïti

Les conditions, déjà désastreuses, des droits de l’homme en Haïti se sont dégradées en 2005, après une deuxième année sous un gouvernement de transition non élu. Citant nombres d’exécutions sommaires, d’émeutes, de tortures et d’arrestations arbitraires, le directeur de la section Droits de l’Homme de la mission des Nations Unies en Haïti a indiqué aux journalistes, en octobre, que la situation des droits de l’homme y était « catastrophique ». Alors que la date des élections approchait, en cette fin d’année 2005, il était difficile de savoir si un scrutin libre et équitable était envisageable.
Quelles conditions pour les élections?
Des élections présidentielles, législatives et locales devaient avoir lieu avant la fin de l’année mais aucune date n’avait encore été confirmée en novembre 2005. Ce seront les premières élections organisées en Haïti depuis le départ du Président Jean-Bertrand Aristide en février 2004. Des retards dans leur préparation pendant l’année ont conduit à des ajournements multiples dans le calendrier électoral mais le premier ministre non élu, Gérard Latortue, insiste sans en démordre, que le transfert des pouvoirs aura lieu comme prévu le 7 février 2006.

Des irrégularités dans les préparations, y compris des complications dans la distribution du matériel électoral, font douter de la fiabilité du vote. Des soupçons sont également apparus au sujet de partis pris qui auraient influé sur le processus électoral.

Violence, anarchie et instabilité
Des vagues de violence ravageant le pays, particulièrement la capitale, Port-au-Prince, font que Haïti demeure instable et dangereuse. A Port-au-Prince, des heurts entre gangs criminels rivaux, certains se réclamant de l’ancien Président Aristide, ont fait des morts chaque jour parmi les civils. Des groupes armés pro-Aristide ont cherché à répandre le chaos et la peur dans l’espoir de voir ce dernier revenir si le gouvernement de transition ne réussissait pas à contenir les violences. Dans les provinces, des groupes armés irréguliers, composés pour beaucoup d’anciens soldats de l’armée haïtienne, exercent une autorité gouvernementale de facto. D’anciens soldats ont installé des casernes dans des commissariats de police et des bâtiments abandonnés. Ils ont installé des points de contrôle, effectuent des perquisitions, confisquent les armes des civils (et, parfois, de la police), se livrent à des arrestations arbitraires et administrent leurs propres prisons temporaires. A cause du dysfonctionnement généralisé des institutions gouvernementales haïtiennes et de la déplorable inefficacité des forces de sécurité, les délits restent impunis et le taux de criminalité s’accroît.

La force multinationale de maintien de la paix des Nations Unies, mandatée par le Conseil de Sécurité pour aider les autorités locales à maintenir l’ordre, n’a pas réussi à arrêter la perpétration d’actes criminels. Mais après un pic de violence presque incontrôlé en mai et juin 2005, les forces de l’ONU ont commencé à prendre des mesures plus agressives à Port-au-Prince, mesures qui ont aidé à alléger, jusqu’à un certain degré, cette atmosphère d’insécurité. Par exemple, la présence renforcée de l’ONU a brusquement réduit le nombre d’enlèvements, qui avaient atteint un taux record. Cependant, certains prétendent que la mission de l’ONU auraient employé la force aveuglément, en particulier dans les nombreux bidonvilles de Port-au-Prince.

Les abus de la police
Les abus de la police contribuent sensiblement à l’insécurité globale. Non seulement la Police Nationale d’Haïti (PNH) est en grande partie incompétente dans ses enquêtes et dans la prévention des crimes, elle est également responsable d’arrestations arbitraires fréquentes, de tortures, de brutalités et utilise la force de façon excessive et gratuite contre les manifestants. Elle fait également face à des accusations plausibles au sujet d’exécutions extrajudiciaires et elle participerait à un trafic de drogue ainsi qu’à d’autres activités criminelles. Elle n’est ni formée ni professionnelle et souffre d’un manque critique de personnel et d’équipement.

Ses abus sont perpétrés avec une impunité presque totale. Human Rights Watch ne connaît pas un seul agent de la PNH qui soit actuellement poursuivi pour conduite abusive. Cependant, dans un geste opportun, le chef de la Police Nationale d’Haïti a annoncé, début novembre, que quatorze officiers de police allaient être inculpés pour leur responsabilité présumée dans les massacres du mois d’août où au moins onze personnes avaient trouvé la mort lors d’un match de football.

Justice et responsabilité
Le système judiciaire haïtien fonctionne à peine ; il souffre de corruption, de politisation et manque de personnel, de formation et de ressources. Dans les provinces, les juges se plaignent qu’il n’y a ni agents de police pour exécuter les mandats d’arrêt, ni prisons dans lesquelles garder les détenus ; peu de crimes font même l’objet d’une enquête. Là où des prisons existent, les conditions de détentions sont désastreuses et les prisonniers sont gardés dans des cellules sales, surpeuplées et souvent sans équipements sanitaires.

Les responsables de crimes commis par le passé restent hors d’atteinte. En effet, une régression significative s’est produite en 2005, comme le montre clairement l’affaire Louis Jodel Chamblain, l’ancien numéro 2 du Front révolutionnaire pour l’Avancement et le Progrès d’Haïti (FRAPH), responsable de crimes innombrables pendant le gouvernement militaire de facto. Il avait été condamné in absentia pour le meurtre d’un homme d’affaires haïtien important en 1993 et pour le massacre de Raboteau en 1994, mais il s’était rendu aux autorités judiciaires en 2004 afin de pouvoir exercer son droit à un nouveau procès. Les inculpations furent annulées et bien que les autorités haïtiennes continuèrent à le détenir pendant quelques mois sous d’autres chefs d’accusation, elles le libérèrent en août 2005. Au début du mois de mai 2005, dans un développement lié à cette affaire, la Cour de Cassation d’Haïti a annulé la sentence de quinze autres anciens soldats et paramilitaires qui avaient été jugés coupables du massacre de Raboteau lors d’un procès historique en 2000. Les motifs qui servirent à la Cour pour appuyer sa décision demeuraient extrêmement légers.

La longue période d’emprisonnement que subit l’ancien premier ministre Yvon Neptune reste préoccupante. Bien que des accusations formelles aient été finalement portées contre Neptune en septembre 2005, les raisons politiques apparentes de sa détention minent toute confiance en leur validité et en l’impartialité de tout procès futur.

Les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes
Parce qu’ils travaillent dans un environnement dangereux et hautement politisé, les défenseurs des droits de l’homme font face à des menaces et à des intimidations. Haïti est aussi un pays dangereux pour les journalistes, qui subissent pressions et agressions quand ils sont en reportage. En juin 2005, après avoir reçu plusieurs menaces d’enlèvement, la journaliste radio Nancy Roc a quitté le pays pour s’exiler. Quelques semaines plus tard, à la mi-juillet, le journaliste de presse et de télévision Jacques Roche a été enlevé et brutalement assassiné par des agresseurs inconnus. Le corps de Roche a été retrouvé dans un bidonville de Port-Au-Prince ; on l’avait torturé et abattu de plusieurs balles. Le chef de la Mission des Nations Unies en Haïti, Juan Gabriel Valdes, a indiqué que, selon lui, la mort de Roche « a tous les éléments d’un assassinat politique ».

Principaux acteurs internationaux
Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a voté unanimement en juin 2005 pour prolonger le mandat de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) jusqu’au 15 février 2006, « avec l’intention de le renouveler à l’avenir ». La résolution de l’ONU a également autorisé le renfort de la maigre force de maintien de la paix avec plus de mille soldats et agents de police civils. Elle porte ainsi les renforts mandatés au nombre de 7,500 soldats et 1,897 policiers. Cependant, le lent déploiement du personnel de la MINUSTAH et le manque généralisé de préparation pour la guerre urbaine ont miné les efforts de la mission à réinstaurer la sécurité en Haïti.

En novembre 2005, un groupe d’avocats spécialisés dans les droits de l’homme a déposé une plainte auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme alléguant que des forces de maintien de la paix de l’ONU avaient été impliquées dans des massacres en Haïti en juillet et en août.

Avec un budget de 407 millions de dollars prévu en 2004-2005, les Etats-Unis sont le plus grand donateur en Haïti. Le Canada et l’Union Européenne sont également des donateurs substantiels. A la mi-octobre, l’UE a dégagé 72 millions d’euros en aide (87 millions de dollars américains) afin d’y soutenir le processus électoral. Les fonds avaient été gelés quelques années auparavant pour protester contre les irrégularités commises lors des élections législatives de 2000.

Les haïtiens continuent à risquer leurs vies en essayant de traverser les mers agitées qui séparent Haïti des Etats-Unis, à bord d’embarcations surchargées et souvent peu étanches. De nombreux bateaux sont interceptés par les garde-côtes américains, mais quelques-uns échouent en mer. Les haïtiens qui atteignent les Etats-Unis sont sujets à une détention obligatoire et à des procédures d’expulsion expéditives.