Haïti, plus de dépense en subvention au carburant qu’en aide à la santé et en protection sociale
Haïti dépense plus en subventions au carburant qu’en santé et en protection sociale
Historiquement, les prix des carburants sont subventionnés depuis longtemps par le gouvernement haïtien. La part importante du PIB consacrée aux subventions sur les carburants, jusqu’à 2 % du PIB en 2014, estime la Banque mondiale dans un rapport récemment publié, se fait au détriment de dépenses publiques importantes comme celles dans le domaine de la santé et de la protection sociale qui, en 2015, ne s’élevaient qu’à respectivement 0,8 % et 0,3 % du PIB.
Le dernier rapport de la Banque mondiale sur Haïti intitulé « Les villes haïtiennes : des actions pour aujourd’hui avec un regard sur demain », dans lequel elle consacre un chapitre entier au transport urbain, soulève le caractère non viable de ces subventions. En effet, la Banque note que le gouvernement d’Haïti envisage de mettre en œuvre un mécanisme d’ajustement automatique des prix du carburant qui s’adapte à l’évolution des prix à l’international et aux variations des taux de change. « Ce mécanisme d’ajustement automatique a été planifié par un décret législatif de 1995 mais n’a été activé pour la première fois qu’en 2003 pour être ensuite retiré et réactivé à plusieurs occasions entre 2008 et 2014 », souligne le rapport précisant que les subventions sur le carburant en 2014 représentaient 44 % du prix de l’essence et 18 % du prix du diesel. En moyenne, continue le rapport, la part des subventions en tant que proportion des coûts de carburant était de 29 % lorsqu’on tient compte des volumes de diesel et d’essence.
Si en 2010 les subventions avaient un impact fiscal limité (0,34 % du PIB), au fur et à mesure que les prix des produits pétroliers ont augmenté et que la gourde haïtienne s’est dépréciée, elles ont augmenté pour représenter jusqu’à 2 % du PIB en 2014. En comparaison, les subventions sur le carburant représentent en moyenne 0,9 % du PIB dans le reste des pays des Caraïbes et même 0,1 % en République dominicaine en 2015. Les subventions sur les carburants ont un effet extrêmement régressif en Haïti avec environ 93 % des subventions qui bénéficient aux 20 % de la population les plus riches, qui ont plus de chance d’être propriétaires de voitures et de motos. En plus de représenter une partie importante des recettes totales (15 %), les ménages pauvres ne dépensent que très peu pour les carburants (0,11 % du budget moyen des ménages).
« En 2012, les 20 % de la population qui percevaient les revenus les plus élevés ont reçu 93 % des subventions sur les carburants alors que les pauvres ne recevaient que 1,6 % et les très pauvres seulement 0,3 % », révèle la Banque mondiale calculant que globalement, une réduction des subventions sur les carburants pourrait augmenter la pauvreté de 1,1 %, les ménages vulnérables étant les plus impactés. Cependant l’élimination complète des subventions n’aura probablement pas de gros effets directs sur la consommation des ménages pour les 40 % les plus bas en matière de distribution des revenus, étant donné qu’ils dépensent moins de 0,06 % de leur budget annuel en carburants et produits annexes, y compris les voitures, les motos et les générateurs d’électricité. « Éliminer les subventions augmenterait les prix des carburants de 29 % mais ne ferait baisser la consommation des 40 % les plus pauvres que de 0,02 % », souligne le rapport avant de noter que les effets indirects par le biais des dépenses en transport et en nourriture pourraient être plus importants –notamment pour les pauvres et les plus vulnérables dans les zones urbaines –pour trois raisons principales.
- Premièrement, une augmentation des tarifs de transport due à des prix des carburants plus élevés affecterait négativement le revenu des ménages pauvres, qui représentent respectivement 40 et 32 % des clients des services de transport, y compris les tap-tap et les bus publics. Les ménages vulnérables, en particulier, dépensent environ 4 % de leur budget total pour le transport quotidien ou le transport scolaire.
- Deuxièmement, des coûts de transport plus élevés pourraient impacter les dépenses en nourriture dans le budget des ménages urbains surtout (60 % en moyenne). Au niveau national, une augmentation de 30 % des prix des carburants provoquerait une augmentation de 1 % des prix des denrées alimentaires.
- Et enfin, la plupart des ménages ruraux et une partie des ménages urbains (26 %) utilise le kérosène pour la cuisine et pour l’éclairage, ce qui pourrait coûter plus cher avec des prix de carburants plus élevés, rappelle la Banque mondiale pronostiquant que « les utilisateurs vont réagir à l’augmentation des tarifs de transport en marchant plus longtemps pour réduire leurs dépenses en transport ».
Ainsi, la suppression des subventions sur le carburant et la mise en œuvre d’un mécanisme d’ajustement automatique pourraient générer des tensions et rendre les transports publics encore moins abordables en l’absence de mécanismes compensatoires. « Ceci pourrait également avoir un impact négatif indirect sur les opérateurs de tap-tap en diminuant le taux d’occupation de leurs véhicules », poursuit le rapport jugeant indispensable la conception des mécanismes de compensation capables de faire en sorte que la suppression des subventions ne se traduise pas par des tarifs plus élevés ou par une perte d’activité pour les opérateurs de tap-tap.
Les options de la Banque mondiale
« Augmenter la vitesse sur les routes grâce à des interventions sur le réseau routier et en rationalisant les itinéraires des tap-tap pour permettre aux conducteurs de tap-tap de faire plus d’allers-retours dans un temps donné et donc d’augmenter leurs revenus ainsi que leur marge opérationnelle et ainsi permettre de baisser les tarifs », est l’option la plus prometteuse, selon la Banque, et devrait être explorée d’abord. Une autre possibilité, toujours selon la Banque, consisterait à rendre les tap-tap plus économes en carburants, alors que certains roulent souvent depuis plus de 25 ans, pour diminuer le volume de carburants nécessaire pour parcourir une distance donnée et donc les coûts en carburants. « Une assistance technique en cours de la Banque mondiale explore différents mécanismes pour compenser les augmentations des coûts de carburants et les résultats seront utilisés pour voir si la mise à la casse des vieux tap-tap est une option viable », informe cette section du rapport basée sur les politiques de prix des carburants et leurs implications sur la connectivité et les habitudes des ménages.