Dix-neuf heures. Il fait nuit, vraiment nuit, à Port-au-Prince. La capitale est enveloppée d’un noir opaque. Quelques points lumineux, telles des lucioles éparpillées dans la ville, indiquent les chanceux équipés d’un générateur. Au bout d’une rue défoncée et non asphaltée, le loueur de voitures sort telle une ombre de son bureau et part à la recherche d’une bonne âme éclairée chez qui il pourrait brancher son terminal de carte bancaire. « Cela fait deux semaines qu’il n’y a de l’électricité que deux ou trois heures par jour. Chez moi, il n’y en a pas du tout. Je dois aller loin pour charger mon téléphone », fulmine Jean-Philippe, le chauffeur. Le quotidien Le Nouvelliste a fait état en mars de la faillite chronique de la compagnie d’électricité.

« Le peuple meurt de faim »

« Tout va de travers, tout est à l’envers, le pays a la tête en bas », commente Jean-Philippe, pointant les engagements non tenus du président Jovenel Moïse, « élu » en février 2017 par 12 % des électeurs (21 % avaient voté). « Il nous avait promis à chacun : ”Tu auras du courant 24 heures sur 24, à manger dans ton assiette, de l’argent dans ta poche.” Il devait construire des routes, développer l’agriculture. Que des mensonges ! Le peuple meurt de faim », s’indigne-t-il.

Jean-Philippe, 37 ans, vit avec sa femme et ses trois jeunes enfants dans une toute petite maison de tôle dans un « quartier sans ». Un quartier sans eau, sans électricité, sans services, sans État, comme ces nombreux bidonvilles ou bétonvilles qui encerclent les beaux quartiers de Pétion-Ville sur les collines de Port-au-Prince, depuis que le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a détruit la ville basse historique restée depuis lors largement en ruine et aux mains de gangs armés. Des « quartiers sans » comme il y en a partout en Haïti où plus des trois quarts de la population vivent dans la pauvreté. Tandis que des familles éhontément riches se barricadent derrière des murs d’enceinte et des gardes armés quand elles ne se replient pas sur leurs bases arrière en Floride. « Haïti est une des sociétés les plus inégalitaires au monde », confirme la sociologue Sabine Lamour.

Pour les evêques de catholiques de Haïti, "l’heure est grave"

Jean-Philippe, lui, chérit des yeux les six rangées de parpaing qu’il a dressées à l’ombre des arbres il y a un an déjà. Les fondations d’une future maison qu’il construira un jour… Quand il n’aura plus à assurer péniblement une survie au quotidien. Alors, parfois, il se joint aux manifestants pour demander des comptes à l’État prédateur.

« La corruption est au cœur du système, la rapacité de l’élite dirigeante, des parlementaires et des grandes familles de la bourgeoisie qui s’approprient des monopoles, est hors norme. Le pays est pillé. L’agriculture décimée au profit d’importations, abonde un observateur. Dire que Haïti faisait jeu égal jusque dans les années 1970 avec la République dominicaine, qui a aujourd’hui un PIB par habitant dix fois supérieur ! »

 

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