Paru dans Le Nouvelliste

Le but de cet article est de montrer comment la situation politique actuelle d’Haïti, marquée par le grippage du système étatique et l’autoritarisme d’une gouvernance par décrets présidentiels, se situe dans le droit-fil d’une dérive institutionnelle qui prend sa source dans le sillage du tremblement de terre de 2010 et est allée s’accentuant depuis.

La création, suite au tremblement de terre, de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), est un exemple flagrant de la débilité de l’État haïtien, que consacrait déjà l’existence, depuis 2004, de la MINUSTAH, cette toute-puissante mission des Nations Unies dite de stabilisation. La CIRH avait été voulue par Bill Clinton et promue par sa fondation de même que par le Secrétariat d’État des États-Unis. Sa création fut parrainée le 31 mars 2010 par Ban Ki-moon et Hillary Clinton au cours d’une réunion solennelle aux Nations Unies. Elle devint effective le 21 avril par décret du président René Préval, le Parlement haïtien ayant accepté la veille de prolonger l’état d’urgence pour 18 mois.  

Cette commission, coprésidée par Bill Clinton et le Premier ministre haïtien en exercice, avait la responsabilité de planifier et de coordonner la reconstruction, une responsabilité qui incombait au gouvernement haïtien et que celui-ci n’avait pas voulu ou pu assumer, avalisant de ce fait une dérive institutionnelle majeure. Celle-ci était d’autant plus grande que les pouvoirs du conseil d’administration furent vite concentrés dans les mains des deux coprésidents, donc, en fait, de Clinton.

L’automne de 2010 est marqué par deux événements aux conséquences catastrophiques. La mi-octobre voit l’éclosion d’une épidémie de choléra ; pour la première fois de toute l’histoire d’Haïti. Les épidémiologistes du ministère de la Santé publique et de la Population remontent la trace de la bactérie et arrivent à la conclusion d’une introduction probable à partir d’un camp militaire de la MINUSTAH qui abrite des soldats népalais fraîchement arrivés de Katmandou, où vient d’éclater une nouvelle épidémie de choléra. Ils veulent pénétrer dans le camp militaire pour enquêter sur la présence de soldats malades ; on les en empêche. Peu de temps après, des reportages de l’Associated Press et d’Al Jazeera viennent documenter d’importantes défaillances dans le traitement des eaux usées du camp et le déversement de celles-ci dans un affluent du fleuve Artibonite.

Donc, le gouvernement haïtien sait dès le début comment la Vibrio cholerae a été introduite dans le pays, une information cruciale dans la lutte pour contrer sa propagation et l’éliminer. La MINUSTAH est au courant, elle aussi, dès le début. Devant l’énormité de sa responsabilité, elle nie en bloc et travaille à effacer les traces pouvant mener à son implication dans ce qui sera, en fin de compte, la plus grave épidémie de choléra des temps modernes : plus de 10 000 décès selon les chiffres officiels ; « des dizaines de milliers » selon des estimations fiables [3, 6].

Le gouvernement haïtien ne dit rien. Son mutisme, impardonnable manquement au devoir, obéit à de sombres calculs politiciens qui le portent à ménager la MINUSTAH, dont il a besoin pour assurer l’ordre au premier tour des élections prévues pour le 28 novembre. Ce jour-là précisément, alors que les élections sont encore en train de se dérouler – avec leur lot de difficultés – le mécanisme de leur remise en cause en vue d’imposer la candidature de Michel Martelly au second tour se met en place [4, 7].

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