L’intégralité du rapport est disponible sur le site du GARR : www.garr-haiti.org/rapports/index.html

RESUME DU RAPPORT 
MIGRATION HAITIENNE & DROITS HUMAINS A LA FRONTIERE HAÏTIANO-DOMINICAINE EN 2004 – GROUPE D’APPUI AUX RAPATRIES & REFUGIES (GARR)

Les événements qui ont secoué Haïti en 2004, notamment la crise politique et
les inondations, ont eu de fortes incidences sur le mouvement migratoire et
sur la vie des communautés frontalières.

Migration
Pour ce qui concerne la migration, la crise politique a mis en évidence une
nouvelle catégorie de migrants : les déplacés internes qu’on connaissait
encore très peu jusqu’ici. Les violences politiques ayant secoué certaines
communautés ont poussé de nombreuses personnes à fuir leur résidence et leur
localité pour chercher refuge ailleurs. Selon certaines estimations, plus de
30,000 personnes auraient été forcées de se déplacer en Haïti au cours du
premier trimestre de l’année 2004. Dans leur lieu de refuge, elles se
trouvaient confrontées à toutes sortes de difficultés : manque de nourriture,
de logement, de soins, de communication avec leurs familles. Malgré la chute
de l’ex-président Jean Bertrand Aristide, le 29 février 2004, des cas de
déplacés internes ont encore été observés en raison des troubles qui
persistent dans certains points du pays, comme à Plaisance et dans des
quartiers populaires de la capitale.

La crise politique et les catastrophes naturelles ont également poussé
beaucoup d’haitiens à se faire réfugiés. Les chiffres dont disposent le GARR
indiquent qu’au moins 3,000 haïtiens et haïtiennes se sont dirigés vers les
pays voisins d’Haïti durant la première moitié de 2004 :
– 1900 s’étaient dirigés vers les Etats-Unis
– 30 vers Cuba
– 512 vers la Jamaique
– 300 vers les Bahamas
– 400 demandes d’asile politique étaient enregistrées en République
Dominicaine en 2004.

A ces chiffres, il faut également ajouter les nombreuses personnes qui ont pu
traverser irrégulièrement la frontière ou qui sont parties avec un visa non-
immigrant mais dans l’intention de ne plus retourner au pays.

Cependant, on est loin de l’exode massif de 1991-1994 où des dizaines de
milliers de personnes avaient fui le pays en bateau. Cette velléité de fuite
a été vite contenue par les pays voisins d’Haïti qui ont été très réticents à
accueillir les demandes d’asile politique. En effet, au fort de la crise
politique, alors que tout Port-au-Prince se trouvait complètement bloqué, les
Etats-Unis n’ont pas hésité à refouler des boat people qui tentaient leur
chance en mer. La République Dominicaine n’a jamais donné suite aux demandes
d’asile politique des haïtiens et certaines personnes sur la liste d’attente
ont même été rapatriées.

En 2004, les rapatriements d’haïtiens n’ont pas cessé, qu’ils proviennent de
la République Dominicaine ou d’autres pays voisins. Selon les observations
faites par les comités de Droits Humains de la frontière, entre janvier et
décembre 2004, la République Dominicaine a expulsé de son territoire plus de
15 000 haïtiens. Ces chiffres non exhaustifs, semblent indiquer une certaine
diminution par rapport à l’année précédente où les comités avaient observé
plus de 36 000 cas au cours de la même période. Nous ignorons si cela est dû
à une décision du gouvernement dominicain suite aux dénonciations
d’organisations locales et internationales de défense des droits des
immigrants ou à l’incapacité des comités de tout observer pendant la période
de crise. A noter que 71% des rapatriements ont été effectués à Belladère et
à Ouanaminthe, deux points frontaliers fortement touchés par la crise
politique et où la présence de l’Etat haïtien était ou est encore quasi
inexistante.

La crise politique haitienne n’a cependant pas mis un frein au mouvement
d’embauchage clandestin. Bien au contraire. Alors que le pays vivait des
moments de convulsions et échappait petit à petit au contrôle des autorités
établies, entre novembre 2003 et janvier 2004, les opérations d’embauchage
clandestin se sont poursuivies comme à l’ordinaire du côté de Fonds-Verrettes
et de Anses-à-Pitres. Selon les observations du GARR et celles de ses
partenaires, plus de 18 000 haitiens ont été embauchés clandestinement à la
frontière haïtiano-dominicaine en 2004.

Malgré les changements de gouvernement en Haïti et en République Dominicaine en 2004, aucune amélioration par rapport au dossier migratoire n’est encore
perceptible. Au contraire, le vote, la veille de la passation de pouvoir au
président Léonel Fernandez d’une nouvelle loi migratoire contenant de
nombreuses restrictions pour les immigrants haïtiens est un sujet de
préoccupations pour beaucoup de personnes. Nous espérons que la nomination
d’un nouvel ambassadeur dominicain en Haïti, le Dr. Jose Serulle Ramia, lequel
manifeste une certaine ouverture à l’égard de la société haitienne, est
annonciatrice d’un changement de politique de la République Dominicaine par
rapport à la question migratoire.

Situation des Droits Humains à la frontière
A côté du dossier migratoire, le GARR veut, dans ce rapport, attirer
l’attention sur la situation qui a prévalu dans la zone frontalière en 2004 :
une situation marquée par la présence de groupes armés et l’abandon par l’Etat
haïtien de cette zone stratégique. La frontière continue donc à être un
espace de non droit où beaucoup d’abus sont perpétrés par des acteurs aussi
bien haïtiens que dominicains.

En gros, 91 cas graves ont été portés à l’attention du GARR en 2004, dont
plusieurs sont liés à la crise politique haitienne et à l’absence d’autorité.
Il s’agit surtout de cas d’assassinats, de blessés par balles, d’atteinte à
l’intégrité physique de personnes, de viols, d’abus de pouvoir combinés avec
des extorsions d’argent ou de marchandises, de conflit de travail dans la zone
franche de Ouanaminthe. A signaler aussi le cas de kidnapping d’un jeune
dominicain, cas qui a failli dégénérer en actes de vengeance grave. Tous ces
incidents entravent les efforts de rapprochement et de respect mutuel. Aussi
la visite d’une septantaine de prisonniers haïtiens dans les prisons
frontaliers dominicains démontre un nombre important de violations de droits
humains et des droits de la défense.

L’un des faits les plus graves enregistrés à la frontière haïtiano-dominicaine
en 2004, a été la violence exercée par des civils armés contre la famille de
Beaugeste Joseph, un paysan de Savanette (Plateau Central). Dans le cadre
d’un conflit terrien, un civil armé, membre du Front de Résistance de
Savanette, proche des militaires démobilisés, avait reçu du juge de la commune
un mandat qu’il devrait délivrer à l’un des partis en conflit. Arrivé sur les
lieux, le civil armé a ouvert le feu sur les paysans en train de cultiver leur
champ, tuant une personne et blessant grièvement trois autres. L’une d’entre
elles a subi plusieurs interventions chirurgicales et a perdu un bras. Le
civil armé emprisonné pendant quelques jours a été, par la suite, libéré.

Analyse et recommandations
2004 a été une année difficile pour tout le peuple haïtien, particulièrement
pour les habitants de la zone frontalière. Les troubles ayans secoué le pays
ainsi que les inondations du mois de mai ont profondément touché les habitants
de Fonds-Verrettes, de Anses-à-Pitres, de Savanette, de Fonds-Parisien, de
Lascahobas, de Belladère et de Ouanaminthe. Dans ce contexte difficile, des
efforts ont été déployés tant par des organisations haïtiennes que
dominicaines travaillant à la frontière pour s’entraider mutuellement et
chercher des solutions pacifiques à un ensemble de problèmes qui se posent.
Des initiatives ont été également prises pour sensibiliser les autorités
locales et centrales sur les problèmes frontaliers et pour leur proposer
certaines solutions. Nous espérons que tous ces efforts finiront par les
convaincre de la nécessité d’agir à la frontière.

Le GARR reste cependant encore préoccupé face au comportement des dirigeants
haïtiens par rapport à cette zone stratégique. Certaines situations
provoquées par ce laxisme et cette absence d’autorité peuvent à tout moment
dégénérer. Comment comprendre que, pendant plusieurs mois, toute
l’administration (douane, immigration, police, mairie) d’une ville clé comme
Ouanaminthe fut abandonnée par l’Etat central et livrée à des individus non
autorisés ?

Le GARR profite de la sortie de son rapport annuel sur la migration haitienne
et les droits humains à la frontière en 2004 pour réitérer les recommandations
suivantes à la société et aux autorités haïtiennes :

1. Nous demandons aux citoyens et citoyennes du pays de faire un effort
de dépassement pour trouver entre nous un consensus pouvant faciliter la
stabilité politique et la bonne gouvernance du pays et éviter ainsi d’exposer
nos compatriotes à des situations extrêmes qui les forcent à abandonner leurs
activités et leur résidence pour chercher refuge ailleurs ;

2. Nous demandons aux autorités plus de sensibilité pour les familles
déplacées en raison de la crise politique et des affrontements armés. Environ
une année après la catastrophe de Fonds-Verrettes et de Mapou, aucune mesure
n’est mise en œuvre pour mettre à l’abri les populations affectées. Rien non
plus n’est fait pour prendre en main la question de la protection durable de
l’environnement dans cette zone frontalière ;

3. Nous demandons aux dirigeants haïtiens de prendre les mesures
nécessaires pour assurer une meilleure gestion de la frontière,
particulièrement dans les points officiels de traversée et dans les zones de
marché. Pour cela, nous proposons la création d’une administration
frontalière, comme pour l’aéroport international. Cette administration aurait
pour tâche la coordination des différentes institutions qui évoluent dans
cette zone et un meilleur accueil des voyageurs ;

4. Les autorités publiques doivent adopter des dispositions pour assurer
le contrôle total de la zone frontalière. Depuis plus d’une année, certaines
fonctions administratives qui relèvent de l’Etat, telle la sécurité, sont
assumées dans beaucoup de points par des groupes armés non officiels,
constitués de militaires démobilisés et de civils armés. Il est temps que
cette situation soit régularisée pour que les citoyens et citoyennes sachent à
qui s’adresser et à qui demander des comptes ;

5. Les autorités haïtiennes ne peuvent plus se fermer les yeux et se
croiser les bras face aux menées des trafiquants de tous poils qui agissent en
toute impunité à travers le pays et à la frontière. Nous demandons que des
dispositions soient prises entre les gouvernements haïtien et dominicain pour
créer un cadre permettant à tout employeur désireux de recruter de la main
d’œuvre haitienne pour la République Dominicaine, de le faire dans des
conditions qui respectent les droits humains et la législation des deux pays.
Nous demandons également des mesures fermes contre les auteurs et complices de
traite d’enfants et un accompagnement des victimes ;

6. Pour ce qui concerne les rapatriements, nous encourageons les
administrations haïtiennes et dominicaines à respecter le Protocole d’Accord
de 1999. Ce protocole exige, entre autres, que le gouvernement dominicain
avise au préalable la mission diplomatique haitienne de tout rapatriement
d’haïtien(ne)s prévu. Il est inconcevable que l’armée dominicaine continue
d’arrêter et de refouler des haïtiens sans leur donner la possibilité de se
défendre. L’accord exige également de l’Etat haïtien l’organisation de
l’accueil et de la réinsertion des rapatriés. Il est scandaleux de constater
que l’Office National de la Migration (ONM), chargé de l’accueil et de la
réinsertion des rapatriés, ne dispose pas de moyens suffisants pour organiser
un meilleur accueil et réinsertion des rapatrié(e)s ;

7. Le gouvernement haïtien doit dynamiser sa représentation diplomatique
en République Dominicaine pour offrir une image plus digne du pays en
territoire voisin et aussi de disposer de personnes crédibles capables de
représenter valablement la nation et défendre les intérêts de ses
ressortissants. Dans cette perspective, nous demandons la réouverture du
Consulat de Barahona et la création de nouveaux consulats à Belladère et à
Anses à Pitres.

Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés
14 avril 2005