Lettre ouverte au président René Préval, pour l’adoption de mesures suite aux violences commises contre des Haïtiens-Haïtiennes à Neiba



Port-au-Prince, le 11 novembre 2008

Son Excellence René Préval,

Président de la République d’Haïti

Palais National

Monsieur le Président,

Nous, organisations haïtiennes de droits humains, rappelons qu’Haïti et la République Dominicaine ont adopté et ratifié des instruments internationaux garantissant le respect de la dignité humaine comme la Convention contre la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.

Les actes perpétrés à Neiba correspondent parfaitement à la définition donnée à l’article premier de ladite convention et l’attitude de l’Etat dominicain est en désaccord avec les obligations stipulées aux articles 2, 4 et 5 de cette même convention.

De plus, les deux pays sont liés par des accords régionaux tels la Convention interaméricaine des droits de l’Homme interdisant entre autres, en son article 22 alinéa 9, les rapatriements collectifs d’étrangers.

En outre, les deux gouvernements sont signataires d’un Protocole d’Accord sur les mécanismes de rapatriement obligeant le gouvernement dominicain à permettre aux rapatriés-es de récupérer leurs biens. (Point d du Protocole).

Monsieur le Président, nous tenons à préciser qu’un bilan provisoire des agressions rapporté par la Presse dominicaine du 28 octobre jusqu’à date, comporte quatre (4) décès et une (15) quinzaine de blessés dont un ressortissant dominicain pris pour un Haïtien. Cependant, d’autres sources avancent un bilan plus lourd en référence à des cadavres mutilés d’Haïtiens qui auraient été découverts le 29 octobre dans les régions montagneuses de Neiba.

Les témoignages obtenus par le GARR auprès d’une cinquantaine de rapatriés hébergés par l’Office National de la Migration (ONM) dans un Centre à Lilavois, les 29 et 30 octobre 2008, réfutent le bilan initial se rapportant aux décès et aux blessés.

Monsieur le Président, nous sommes sidérés de la timidité, allant jusqu’au silence, des autorités de notre pays face aux violences aveugles commises à Neiba.

La position officielle du gouvernement haïtien à travers la Présidence et la Primature n’est toujours pas connue. Les citoyens et citoyennes ne sont pas informés sur l’accompagnent légal et l’assistance humanitaire que le gouvernement envisage de fournir à ces nombreuses victimes alors qu’une réponse soutenue au triple point de vue légal, psychologique et humanitaire reste une obligation de l’Etat haïtien en vertu de l’article 19 de la Constitution haïtienne de 1987 et l’adoption dans cette même Constitution des prescrits de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

D’autre part, une semaine après cette vague d’agressions contre des étrangers/ères sur son territoire, le gouvernement dominicain n’a annoncé aucune arrestation à Neiba ni formulé la moindre mise en garde publique contre ceux qui s’aviseraient de remplacer la Justice et d’attaquer des groupes d’Haïtiens à leur domicile, dans les rues ou au travail, de vandaliser leurs maisons et détruire des actes de naissance ou des cédulas comme cela s’est produit. Aucune action ne semble être prévue pour évaluer les dégats et prendre les mesures légales qui s’imposent tant du point de vue pénal que civil en stricte application des lois et des conventions.

De source digne de foi, nous avons appris que le magistrat dominicain en charge du dossier au Parquet de Neiba, s’était emporté quand les représentants du gouvernement haïtien sur place, lui ont signalé les faiblesses de la réponse apportée par le Ministère public et les institutions policières et militaires de Neiba au cours des agressions caractérisées contre les Haïtiens/Haïtiennes, les 27 et 28 octobre 2008.

Nous prenons cependant acte des efforts des parlementaires haïtiens et dominicains qui ont mesuré l’impact négatif que ces actes arbitraires pourraient causer aux relations entre les deux pays. Cependant, l’histoire de ces relations nous enseigne qu’un suivi doit être rigoureusement assuré pour couper court à de telles pratiques contraires au prestige et aux intérêts des deux pays.

L’absence d’une prise de position claire du gouvernement haïtien devant la répétition de ces crimes et violations n’augure rien de bon dans un futur proche. En effet, nous avons appris que depuis, d’autres incidents ont eu lieu :

– Au lendemain des lynchages de Neiba, des familles d’Haïtiens résidant à Guayubin, au Nord de la République Dominicaine, ont été terrorisées par des assaillants les ayant prises pour cibles suite à l’annonce du meurtre d’un dominicain attribué une fois de plus, sans enquête préalable, à un Haïtien.

– Le 2 novembre à San Cristobal, des hommes en cagoule abattaient un Haïtien dans sa résidence et ont tabassé son frère actuellement hospitalisé.

– Le 5 novembre, un militaire dominicain du CESFRONT est cité comme présumé auteur de l’assassinat par balle d’un jeune Haïtien non loin de la rivière Massacre.

Une page doit être tournée. Une impulsion nouvelle doit être donnée aux relations haïtiano-dominicaines où les agressions caractérisées contre les migrants-es et l’impunité seraient à jamais bannies et remplacées par le respect intégral des droits humains dans les deux pays, et la garantie de la sécurité de tous contre toute agression liée à la couleur de la peau.

En conséquence nous, organisations haïtiennes de droits humains demandons ce qui suit :

· la mise en place d’une commission indépendante de type humanitaire en vue de faire la lumière sur la situation qui s’est développée à partir des incidents de Neiba.

· l’adoption de mesures conservatoires d’urgence pour garantir la sécurité des personnes et arrêter les agressions.

· La prise en charge par l’Etat haïtien des familles rapatriées de Neiba surtout celles qui ont passé plus de cinq (5) années en République Dominicaine.

· la représentation légale des victimes à toutes les étapes de la mise en mouvement de l’action publique destinée à fixer les responsabilités sur le plan pénal et civil.

_______________________________________________
comgarr mailing list
comgarr@garr-haiti.org
http://garr-haiti.org/mailman/listinfo/comgarr_garr-haiti.org