Port au Prince, le 19 novembre 2007

Lettre ouverte au Président de la République



CONAP EXIGE DE L’EXÉCUTIF DES DISPOSITIONS CONCRÈTES



FACE AUX VIOLENCES DE GENRE PERPÉTRÉES PAR



LES FORCES ONUSIENNES D’OCCUPATION

Monsieur le Président,

A l’aube de la vingtième commémoration du 25 novembre en Haïti, reconnue par l’ONU « Journée Internationale contre la violence faite aux femmes », bon nombre d’organisations citoyennes continuent à exprimer publiquement leur profonde indignation sur les abus sexuels perpétrés par des membres du contingent Sri Lankais de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH), sur des femmes et mineures haïtiennes.

Depuis l’arrivée des forces d’occupation, la Coordination Nationale de Plaidoyer pour les Droits des Femmes (CONAP) n’a eu cesse d’alerter l’opinion publique nationale et internationale sur les nombreux cas de violences dont sont victimes les femmes, les filles et parfois même des hommes de notre pays, l’attitude questionnable des responsables du gouvernement face à une situation d’occupation de facto, pour autant qu’elle est héritée des inconséquences du régime lavalas précédant et du gouvernement de transition qui lui a succédé et qui en est signataire.

Monsieur le Président, pourquoi a-t-il fallu attendre qu’une partie de ces violations soit mise à nu pour que le gouvernement, dans une déclaration, en date du 5 novembre, à travers le Ministère à la Condition féminine, se prononce sur cette gravissime question ?

Le moment est venu pour le gouvernement d’aller au-delà de protestations et de déclarations, pour qu’enfin ces violences perpétrées en toute impunité par les occupants soient sévèrement condamnées et sans équivoque par les instances nationales compétentes et valablement documentées, aussi systématiquement qu’elles sont inlassablement dénoncées par les organisations de défense des droits de la personne, au-delà des insuffisances des dispositions onusiennes existantes, qui continuent à se révéler inefficaces pour les juguler.

Justement, l’existence de telles dispositions attestent – si besoin était –, du fait que ce genre de violations des droits de la personne est propre à la nature même de toute occupation – quelle qu’elle soit – comme cela a tragiquement été déjà démontré dans toutes les interventions onusiennes du même type.

Il ne revient pas à la CONAP de faire un plaidoyer légaliste étriqué, sur la base de référentiels établis à la suite de crimes similaires commis dans des pays d’Afrique. Il nous revient par contre de poursuivre notre combat éminemment politique contre l’impunité, pour le respect des droits des femmes, et l’application équitable de la justice.

Monsieur le Président, comme mesure conservatoire immédiate, démontrant la volonté politique de votre gouvernement à remédier, en toute souveraineté, à cette situation ; compte tenu du manque de transparence affiché par les responsables locaux de la MINUSTAH dans la gestion de ce dossier, la CONAP attend de votre gouvernement :

1. l’obtention de M. Hédi Annabi, représentant du Secrétaire Général de l’ONU en Haïti, des informations contenues dans le dossier ayant donné lieu au rapatriement de 108 soldats Sri Lankais ;

2. l’accompagnement par l’état haïtien des victimes de violences des soldats onusiens rapatriés;

3. la mise en branle d’une enquête au sein de tous les contingents de la MINUSTHA ;

4. la désignation d’un émissaire spécial responsable du suivi de ce dossier, au sein de la représentation haïtienne à l’ONU.

Dans l’intervalle, la CONAP vous demande expressément, Monsieur le Président, de vous prononcer publiquement sur ce problème d’ordre publique, qui relève non pas de délits mineurs mais de crimes, en engageant le gouvernement à adopter des dispositions concrètes, visant à mettre un terme au déni de justice qui caractérise les mécanismes inopérants en vigueur au sein de la MINUSTAH :

1. Constitution d’une cellule d’intervention autonome, composée du Ministère de la Justice et du Ministère à la Condition féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF) et intégrant obligatoirement l’inspection générale de la PNH, mandatée à:

– Intervenir pour prévenir, documenter, informer toute violence perpétrée par les forces d’occupation, en regard des prescrits des lois haïtiennes et internationales sur les droits de la personne ;

– Initier les démarches spéciales de poursuites légales à travers les mécanismes internationaux dont Haïti est signataire, compte tenu des qualités des agresseurs et de leur renvoi dans leur pays d’origine sur base des dispositions de l’ONU.

2. Responsabiliser le MCFDF dans son mandat et ses attributions en portant le gouvernement haïtien, à représenter les victimes au niveau international.

Monsieur le Président, quel sens revêt toute cette bataille, dans la présente réalité d’occupation, si même le gouvernement se révèle incapable d’aller au-delà de dénoncer ou de déplorer, tandis que nos enfants sont victimes d’abus sexuel de la part des soldats de la MINUSTAH ? L’État Haïtien, à travers le MCFDF a l’obligation de se doter des instruments pour combattre, prévenir et punir toutes les formes de violences faites aux femmes et coordonner les efforts des organisations de femmes qui s’organisent pour la juguler, aux cotés d’institutions publiques et privées de services oeuvrant dans le domaine.

Monsieur le Président, au-delà de l’outrage que représente l’occupation de notre pays, la Constitution haïtienne doit primer !

Il en va de la crédibilité de votre gouvernement, car l’État haïtien est signataire de la Convention Belèm Do Para pour la prévention, le sanctionnement et l’élimination de la violence faite aux femmes, ratifiée par le Parlement haïtien en toute autonomie. Il en va de l’indépendance du système judiciaire et de notre souveraineté de peuple.

Il vous revient, Monsieur le Président, pour l’histoire, d’avoir le courage politique de prendre vos responsabilités de Chef d’État, en tant qu’élu d’un peuple qui demande réparation.

Solidaire des voix des filles et des femmes dont les droits ont été bafoués et les corps violentés, la CONAP, signataire d’un protocole avec le MCFDF relatif à la violence faite aux femmes, et co-fondatrice de la Concertation Nationale contre la violence faite aux femmes, ne se désistera pas de ses obligations en la matière. CONAP, dans sa mission de défense de la cause des femmes, entend maintenir son engagement féministe pour que toutes les victimes obtiennent justice.

Nous réitérons le patriotisme de ces revendications féministes. Tant et aussi longtemps que nous ne serons pas parvenues à un changement radical des termes de la condition féminine en Haïti, nous refusons de rejoindre les rangs infâmes des politiquement correctes : il en va de notre survie.

Plus que jamais, la CONAP réitère que le corps des femmes et des filles n‘est ni une marchandise, ni un champs de bataille !

Patriotiquement,

Pour le Comité de Coordination de la CONAP :
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Olga Benoit Jesi Chancy-Manigat Magalie Marcelin
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Samia Salomon Marie Carline Lafleur

c.c. : MCFDF, Ministre de la Justice, Inspection Générale PNH, Président de l’Assemblée Nationale, Commissions des Droits des Femmes de la Chambre des Députés, OPC, Sec Gen ONU, Représentant Résident du PNUD, organismes de défense des droits humains nationaux et internationaux, Presse nationale et internationale, organisation de femmes au Sri Lanka/DD, réseaux de solidarités nationaux et internationaux