La souveraineté alimentaire en Haïti

Document de positionnement de la Coordination Europe-Haïti

Juin 2008

La Coordination Europe-Haïti (CoE-H)  est un réseau de 60 ONG engagées en Haïti et originaires de 8 pays européens. Formalisée en 2004, la Coordination s’est fixé pour objectif de remettre Haïti au centre des préoccupations du public et des gouvernements européens. Elle mène ainsi des actions de plaidoyer auprès des institutions européennes (Parlement, Commission et Conseil de l’UE). La Coordination travaille en collaboration avec 50 organisations partenaires en Haïti qui se sont concertées en plate-forme en 2005 et qui ont constitué la Coordination Haïti-Europe (COHE).
www.broederlijkdelen.be/Co-EH

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La Coordination Europe Haïti (CoE-H) a noté avec satisfaction que les politiques européennes de coopération avec Haïti visent à appuyer le développement durable en aidant le pays à faire face aux enjeux suivants :

• la stabilité sociale (accès à l’alimentation et à l’approvisionnement des villes) ;
• la bonne gouvernance (à travers la transparence de la gestion, la décentralisation);
• l’intégration régionale d’Haïti dans le marché commun CARICOM ;
• la protection de l’environnement.

Les instruments, mis en place pour atteindre ces objectifs, passent par l’appui à la définition et à la mise en oeuvre d’une politique agricole et rurale en cohérence avec les objectifs économiques et lociaux et en tenant compte aussi du rôle des femmes dans l’économie nationale.

Toutefois devant les événements récents en Haïti, les organisations de la CoE-H font état de leur préoccupation à propos de la crise alimentaire dans ce pays, où actuellement la sous nutrition touche environ 25% de la population. Comme le rappelait Marie-Cécile Couharde dans son rapport de mission pour la BID, intitulé « Caractéristiques du cadre macro-économique de la production alimentaire en
Haïti et analyse de son impact sur la compétitivité de l’agriculture haïtienne », la quasi-suppression de la protection douanière sur les produits agricoles a eu pour conséquence la baisse de la production nationale et l’augmentation des importations.  Les organisations membres de la CoE-H estiment que cette ouverture des  marchés agricoles a rendu Haïti très dépendant et vulnérable aux fluctuations des prix du marché international des produits agricoles de base.

A la lumière de tout cela, la Coordination Europe-Haïti souhaite attirer l’attention de l’Union Européenne sur 8 recommandations en matière de Souveraineté Alimentaire en Haïti.

Ces recommandations peuvent contribuer à améliorer les instruments de coopération des politiques européennes déjà en place ou à venir et accompagner l’accroissement de la productivité agricole durable en Haïti.

1. Valoriser la production nationale

• Favoriser l’achat d’aliments produits localement dans les programmes européens d’appui à l’alimentation des villes : mise en place d’instruments pour contrer le problème de l’insolvabilité des populations urbaines qui entrave la rémunération correcte des populations rurales (c’est à dire
l’incapacité des populations urbaines à acheter les productions nationales à des prix corrects) [Quand les populations urbaines n’ont pas les moyens d’acheter leur nourriture de base, les gouvernements pour éviter des problèmes sociaux facilitent les importations au plus bas prix ; les productions agricoles nationales restent invendues ou les prix chutent au point que les producteurs nationaux n’ont plus les moyens de vivre. Ainsi les personnes émigrent et le cycle de l’urbanisation incontrôlée et de l’accroissement de la misère se perpétue. Une solution est des rendre solvable les populations pauvres des villes, de leurs fournir les moyens d’acheter les productions nationales à des prix corrects.]

• Soutenir l’accroissement de la production nationale aussi avec des appuis techniques aux activités agricoles familiales en accord avec les besoins et intérêts des producteurs et productrices.

• Appuyer très fortement et de manière décentralisée le renforcement ou la création des services agricoles indispensables (recherche & développement, formation technique des agriculteurs, information des agriculteurs, accès aux crédits, à l’équipement et aux intrants).

• Accompagner la mise au point et la diffusion de nouvelles technologies durables et peu coûteuses pour une agriculture paysanne qui tire mieux parti des ressources locales.

• Renforcer les organisations professionnelles, mouvements de paysans via la bonne gouvernance, ce qui contribuerait à l’amélioration du rapport de force entre agriculteurs et institutions publiques.

• Etablir des systèmes de contrôle de l’aide alimentaire en fonction des besoins réels de la population vulnérable et veiller à ce qu’elle ne contribue pas à faire disparaître les traditions alimentaires haïtiennes. L’aide alimentaire sous forme de cantines peut être orientée vers les écoles en priorité (publiques, communales, communautaires).

• Favoriser l’amélioration des conditions de travail et de vie des hommes et des femmes en milieu rural: accès aux biens d’équipements, logement..) et accès aux services de base (eau potable, santé..).


2. Sécuriser le foncier

• Veiller à ce que le problème foncier (la réforme agraire) soit systématiquement pris en compte dans chaque projet rural supporté par l’UE. Cet appui doit s’inscrire  dans le renforcement ou la création des instruments nationaux d’une gestion transparente et positive du foncier dans le cadre de la stratégie nationale qui se verrait ainsi systématiquement renforcée (validation des titres de
propriétés, données sexo-spécifiques).

3. Appuyer la planification / programmation décentralisée participative

• Veiller à ce que les instruments de l’Union Européenne prévoient la systématisation d’une planification / programmation décentralisée et participative. Ces instruments doivent permettre la mise en place de ressources humaines nationales indispensables pour sa mise en oeuvre (notamment par l’appui aux directions départementales agricoles et aux organisations
professionnelles agricoles).


4. Appuyer le développement des infrastructures secondaires

• Accompagner le développement nécessaire des infrastructures locales, départementales et nationales dans les bassins de production de façon à favoriser l’émergence de petites et moyennes industries de transformation (agro-industries, etc), le transport des productions rurales, permettant ainsi l’approvisionnement des villes et la promotion de la consommation locale. [Ceci permettrait de nommer dans la transparence les cadres indispensables pour le pays, leur accorder les moyens financiers suffisants pour qu’ils soient motivés, surtout dans les zones difficiles du pays et s’assurer que les moyens de fonctionnement sont à leur disposition sans discontinuité pendant au moins dix ans.]

5. Protéger l’environnement par une agriculture durable

• Concrétiser les 4 points précédents pour conduire Haïti vers une agriculture qui soit respectueuse de l’environnement.

• Favoriser l’accès aux crédits pour permettre un meilleur accès aux intrants (qui soient respectueux de l’environnement).

• Favoriser la formation technique des personnes en milieu rural (notamment pour une utilisation correcte des intrants).


6. Appuyer les operateurs économiques dans le domaine de l’agriculture


• Favoriser l’émergence d’opérateurs économiques dans le domaine de la transformation agricole, en particulier dans les métropoles en régions afin de stabiliser la population, de créer des emplois pour les jeunes cadres locaux, de mettre en place de véritables contrats de culture pour l’approvisionnement. L’appui des organisations professionnelles agricoles telles que les associations et coopératives paysannes et les syndicats pourrait se révéler très important dans ce
domaine.

• S’assurer que le programme européen de Renforcement Intégré du Milieu des Affaires en Haïti (PRIMA) prend bien en compte les objectifs énoncés en haut et leur donne toute la priorité nécessaire surtout au niveau opérationnel.

7. Favoriser une politique énergétique basée sur la recherche de l’autonomie

locale et régionale

• Limiter drastiquement la concurrence sur les terres existantes ou potentielles pour la production alimentaire, d’une production à destination d’agro-carburants (éthanol via la canne à sucre..).

• Privilégier la production d’énergie durable, autonome et communautaire au détriment d’une énergie industrielle importée.


8. Aider l’intégration régionale d’Haïti

• Ramener progressivement les barrières douanières d’Haïti au niveau du Tarif Extérieur Commun de la CARICOM. Le niveau des droits de douane doit garantir des prix rémunérateurs qui assurent un niveau de vie décent pour les producteurs et les productrices.

• La remontée de certaines barrières douanières pour favoriser la production nationale pourrait faire monter certains prix. Si d’un coté il faut s’assurer que les prix soient suffisamment rémunérateurs pour les producteurs, de l’autre coté il faut compenser ces augmentations pour accroître la capacité des personnes les plus démunies dans les villes à acheter leur alimentation. Par conséquent, il faut
améliorer les instruments de subventions à l’acheteur déjà existant au niveau des programmes internationaux, en assurant la prise en charge dans le budget national ou en finançant sur plusieurs années, la remise à niveau de la productivité et production agricole.

• Mettre en place un système commercial qui permet une relation « gagnant – gagnant » entre la CARICOM et l’Union Européenne en s’assurant que les échanges commerciaux évoluent vers un équilibre, voire que pour quelques années encore, la balance soit en faveur des pays du Sud pour qu’ils renforcent leurs secteurs économiques avant de rentrer dans une compétition totalement
ouverte.

Coordination Europe-Haïti (CoE-H)
Coordinatrice: Alessandra Spalletta
Rue des Tanneurs 165,
B-1000 Bruxelles
Tél: +32 2 213 04 18