Ce que doit faire Haïti afin que ses citoyens puissent voyager sans visa dans la CARICOM

Publié le 04/01/2018 | Le Nouvelliste

Membre de la CARICOM depuis le début des années 2000, la République d’Haïti, contrairement aux autres États membres de la région, n’est jamais parvenue à jouir des prérogatives comme la libre circulation des capitaux, des services et des personnes qualifiées qui constituent le fondement même de cette organisation politique et de cette zone d’intégration économique.

Une situation qui fait couler beaucoup d’encre et sur laquelle le représentant d’Haïti à la CARICOM, l’ambassadeur Peterson Noël, à la demande du journal Le Nouvelliste, a accepté volontiers de lever quelques zones d’ombre. Dans le contexte précis où le président de la République, Jovenel Moïse, s’apprête, en février prochain, à enfiler ses habits neufs de prochain président du bloc d’intégration régionale composé de 15 États-membres.

Déplorant d’entrée de jeu un manque d’information, l’ambassadeur Noël, joint par téléphone en début de soirée, s’est évertué tout au long de la conversation à expliquer ce qu’est la CARICOM. Car si, légalement parlant, Haïti a fait tout ce qui était nécessaire pour un pays de devenir membre de la CARICOM – signature et ratification du traité, contribution au budget de l’organisation – les autorités haïtiennes cependant sont très en retard en ce qui a trait à la mise en œuvre de dispositifs liés au marché unique permettant la libre circulation des personnes qualifiées, libre circulation des capitaux et des services.

« Nous n’avons rien fait à ce propos depuis qu’Haïti a intégré la CARICOM », souligne Peterson Noël précisant, dans le cas d’Haïti, qu’il ne s’agit pas seulement des personnes qualifiées qui ne peuvent pas circuler librement au sein du bloc régional, mais même nos biens et services ne peuvent circuler sans droits de douane.

Pour le moment, poursuit-il, pour que nous puissions revendiquer la libre circulation des personnes haïtiennes qualifiées au niveau de la région, il faut que nous prenions des dispositions visant à nous conformer aux prescrits du traité. Tout d’abord, il faut que le ministère des Affaires étrangères délivre aux ressortissants haïtiens un certificat de compétence qu’il est le seul habilité à délivrer. C’est ce certificat qui va déterminer à quelle catégorie prévue par le traité de Chaguaramas appartient le ressortissant (journaliste, sportif, universitaire, artiste, etc.)

« Automatiquement qu’il est avéré que cette personne est qualifiée, elle pourra non seulement voyager sans visa, mais aussi elle n’aura pas besoin de certificat de travail pour travailler dans n’importe quel pays de la CARICOM », assure le représentant d’Haïti à la CARICOM insistant sur les dispositions qu’Haïti doit prendre en amont. Outre le certificat de compétence, le pays doit avoir un système fiable pour régulariser et homologuer la question des diplômes.

Pour la question de visa proprement dite, Peterson Noël rappelle que le gouvernement haïtien, de manière unilatérale, avait décidé dans les années 90 d’autoriser tout le monde à entrer dans le pays sans visa, sauf les pays liés au trafic de drogue et ceux qui avaient un problème avec les États-Unis. « Dans ces conditions, le principe de réciprocité n’est pas de mise », précise l’ambassadeur Noël.

À en croire le diplomate haïtien, cette question de libre circulation des personnes qualifiées ne concernerait pas uniquement Haïti, car elle fait partie intégrante de l’agenda de la CARICOM. « Avec l’évolution de l’économie, il y a des pays qui ont plus de revenus que d’autres comme Trinidad et Barbade. Beaucoup de Guyanais quittent leur pays non pas pour visiter, mais pour aller chercher du travail dans ces deux pays », explique-t-il.

Une fois qu’Haïti aura mis en œuvre les dispositifs facilitant la libre circulation des capitaux, des services et des personnes qualifiées, prévient Peterson Noël, n’importe quel voyageur qualifié, de nationalité haïtienne, qui est bloqué dans l’espace CARICOM, a le droit de porter plainte au ministère haïtien des Affaires étrangères qui se doit de porter le dossier devant la Cour caribéenne de justice pour que cette dernière puisse trancher.

Mais il ne revient pas à l’administration Moïse de prendre seule ces dispositions. « Dès qu’on touche au changement de loi, de notre système légal, l’intervention du Parlement haïtien devient très importante », déclare l’ambassadeur Noël rappelant qu’il existe beaucoup de textes de loi au Parlement haïtien qui n’ont jamais été votés pour des raisons qu’on ignore. « Le président Jovenel Moïse a pris l’engagement de faire voter ces lois. Mais il n’est que d’attendre. »

Ce sont des lois qui vont toucher le fonctionnement de l’économie haïtienne, informe Peterson Noël, faisant référence au nouveau code douanier voté sous la présidence de René Préval mais qui n’a jamais été publié par ce dernier, car les parlementaires s’étaient octroyés de nombreux avantages et prérogatives en votant ce texte de loi. À côté de cette loi, qui doit être renvoyée au Parlement pour correction avant d’être votée, le Parlement haïtien doit voter aussi des lois sur la normalisation, la protection des consommateurs et la compétition (ce que nous appelons en Haïti CNMP) afin de faciliter la concurrence.

« Nous ne saurons participer à la libre circulation des biens et services sans mettre en œuvre ces dispositions plus haut citées », met en garde Peterson Noël. « Pour le moment, on se contente de participer aux activités politiques ; d’ailleurs le sommet politique aura lieu en Haïti, mais, pour les autres dispositions, il revient au Parlement et au gouvernement de prendre les mesures nécessaires », a-t-il poursuivi.