Lettre ouverte au président de la République d’Haïti,
René García Préval,
à propos des recommandations d’Amnesty International concernant la protection et la promotion des droits humains

AMNESTY INTERNATIONAL
Document public
Index AI : AMR 36/011/2006
Octobre 2006
ÉFAI

Monsieur le Président,

Je m’adresse aujourd’hui à vous, ainsi qu’aux membres de votre gouvernement, en ma qualité de secrétaire générale d’Amnesty International dans le but d’engager le dialogue et de vous faire part des préoccupations d’Amnesty vis-à-vis de la situation des droits humains en Haïti.

Amnesty International aimerait, par la même occasion, exhorter les membres de votre gouvernement à envisager l’adoption de mesures efficaces pour promouvoir et protéger l’ensemble des droits humains de tous les Haïtiens. Il est d’une importance capitale que votre gouvernement fasse preuve d’un véritable engagement et d’une ferme détermination à poursuivre de tels objectifs.

Comme vous le savez, Amnesty International est un mouvement mondial de défense des droits humains qui rassemble plus d’un million et demi de membres répartis à travers plus de 140 pays dans le but de veiller au respect de tous les droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et les autres normes internationales relatives aux droits humains. L’organisation est indépendante de tout gouvernement, idéologie politique, intérêt économique ou croyance religieuse. Sa seule et unique préoccupation est de protéger impartialement les droits humains, y compris les droits civils et politiques, ou économiques, sociaux et culturels.

Or, Amnesty International déplore, depuis déjà longtemps, la situation des droits humains en Haïti, alors que l’État haïtien est partie à plusieurs traités internationaux importants depuis plus de quinze ans. Amnesty International a constaté avec inquiétude que les gouvernements successifs ne doublaient pas les obligations internationales d’Haïti d’une stratégie efficace de protection et de promotion des droits humains visant notamment à mettre un terme à l’impunité dont jouissent les auteurs de violations de ces droits, à combattre la violence contre les femmes et à promouvoir une administration de la justice compatible avec les normes internationales. Nous espérons sincèrement que votre gouvernement respectera ses engagements internationaux en protégeant les droits humains de tous les Haïtiens, sans exception, indépendamment de leur allégeance politique, de leur origine socio-économique, de leur confession religieuse ou de leurs croyances, de leur sexe et de leur race.

La présente demande est axée sur les mesures que devrait prendre le gouvernement haïtien sans plus tarder, selon Amnesty International, pour garantir la protection des droits humains. Je suis convaincue que votre gouvernement peut mettre en application la série de recommandations ci-dessous dans des délais relativement brefs, avec la collaboration de la MINUSTHA et de la communauté internationale, en employant les ressources qui sont déjà à sa disposition.

Les recommandations d’Amnesty International ne traitent pas uniquement de la nécessité de mettre fin à l’impunité et de traduire en justice les responsables présumés d’atteintes aux droits humains, mais également de l’obligation de mettre fin à celles qui se poursuivent sous le gouvernement actuel, à commencer par celles qui sont perpétrées par des policiers, des autorités et des agents non gouvernementaux. Tant qu’elles persistent et que la légalité n’est pas respectée, il sera extrêmement difficile pour le peuple haïtien de reprendre confiance dans le processus de réconciliation que votre gouvernement est désireux d’engager.

Dans ce contexte, nous vous demandons de mettre en application une série de recommandations visant les problèmes suivants :

1. L’impunité

L’impunité s’entend littéralement de l’absence de punition, soit en pratique du fait que l’État ne donne pas réparation aux victimes d’atteintes aux droits humains en traduisant en justice les auteurs présumés des actes ou en réparant autrement le préjudice subi. En laissant les auteurs commettre des atteintes aux droits humains, pourtant expressément proscrites par la loi, sans en subir de conséquences, l’État perpétue leurs crimes. En veillant au contraire à ce que les responsables soient traduits en justice, l’État fait savoir à toute la société que les atteintes aux droits humains ne seront pas tolérées, ce qui facilite la prévention de nouvelles violences. L’impunité prive les victimes de leur droit à la justice et bafoue ainsi leurs droits une deuxième fois. Elle prive les victimes et les membres de leur famille du droit de faire établir et reconnaître la vérité, du droit de voir la justice s’accomplir et du droit à un recours effectif. Or, les auteurs de violations des droits humains étant rarement punis, la population a perdu confiance dans l’administration de la justice et la primauté de la loi. Cette impunité notoire a non seulement contribué à l’intensification des violations des droits humains, mais également favorisé l’augmentation vertigineuse de la violence au sein de la société haïtienne.

Dans le passé, des progrès certes modestes mais réels ont été accomplis au chapitre de la lutte contre l’impunité en Haïti, lorsque les auteurs présumés de crimes majeurs, tels que les massacres de Raboteau et Carrefour-Feuilles, ont été traduits en justice. Toutefois, Amnesty International est fort préoccupée de constater que la justice en Haïti a essuyé un revers majeur ces dernières années, notamment sous le gouvernement provisoire qui a succédé au départ de Jean-Bertrand Aristide. L’impunité a non seulement prévalu, mais elle s’est accentuée par suite de décisions politiques qui ont affecté le système judiciaire ainsi que de décisions de justice qui ont été prises au mépris complet de la Constitution et des lois haïtiennes.

Vivement préoccupée par l’impunité omniprésente des auteurs d’atteintes aux droits humains commises dans le passé en Haïti, Amnesty International souhaite rappeler à votre gouvernement que la première obligation de l’État est de combattre cette impunité et de poursuivre de la même façon les agents gouvernementaux et non gouvernementaux. Les victimes doivent en outre bénéficier de programmes de réparation, de restitution et de réadaptation parrainés par l’État.

Amnesty International est consciente du fait que la lutte contre l’impunité passe nécessairement par une réforme en profondeur du système judiciaire du pays, et salue par conséquent la nomination de Daniel Jean au poste de secrétaire d’État à la Réforme judiciaire. Elle pense toutefois qu’en attendant l’aboutissement de cette réforme, les autorités pourraient, faisant ainsi preuve de bonne volonté politique, prendre immédiatement certaines mesures pour restaurer la primauté du droit.

Recommandations pour combattre l’impunité des auteurs d’atteintes aux droits humains

Condamner publiquement toutes les violations des droits humains et s’abstenir de prendre des mesures accordant l’impunité
Le gouvernement d’Haïti doit faire savoir haut et fort à la société haïtienne que les violations de droits humains ne seront tolérées en aucune circonstance en Haïti, que leurs auteurs soient des agents gouvernementaux ou non, et que les responsables des violations passées de ces droits seront traduits en justice.

Établir un programme national pour mettre fin à l’impunité
Amnesty International recommande au gouvernement d’élaborer un programme en vue de mettre fin à l’impunité, en établissant notamment un calendrier des enquêtes et des poursuites à entreprendre. Le gouvernement devrait, dans le cadre de ce programme, former un groupe de travail spécial composé de magistrats et de juges notoirement intègres qui agirait en amont dans les enquêtes sur les accusations et traduirait sans retard les responsables présumés devant les tribunaux dans le respect des normes internationales. Ce programme devrait tout d’abord reprendre les affaires dans lesquelles certaines procédures ont déjà été engagées ou dans lesquelles des actions sont en cours, telles que les affaires suivantes :
les massacres de Carrefour Péan, Fort National, Grande Ravine et La Scierie ;
le procès Raboteau ;
les meurtres de Jean Dominique, Jean-Claude Louissant, Brignol Lindor, Abdias Jean, Jean Roche et Antoine Izméry, entre autres ;
les affaires faisant l’objet d’enquêtes de la Commission nationale de vérité et de justice ;
les cas de tous les prisonniers actuellement maintenus en détention provisoire à long terme ou détenus sans avoir été formellement inculpés ;
les autorités pertinentes devraient inventorier les autres affaires pour lesquelles des procédures ont été ouvertes, mais non suivies, pour quelque raison que ce soit, et remettre ces procédures en marche.
Le programme national visant à mettre fin à l’impunité devrait aussi fournir des recours adéquats à toutes les victimes d’atteintes aux droits humains et veiller à ce qu’elles obtiennent réparation.
Appliquer les recommandations de la Commission nationale de vérité et de justice
Le gouvernement d’Haïti devrait résolument s’employer à mettre en œuvre l’ensemble des recommandations concernant la lutte contre l’impunité proposées par la Commission nationale de vérité et de justice ainsi que par les rapporteurs spéciaux et les experts indépendants mandatés par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, dans leurs rapports successifs.

2. La violence contre les femmes

Amnesty International note avec beaucoup d’inquiétude les allégations constantes de violences commises contre des femmes, notamment dans les quartiers défavorisés de la capitale. En période de trouble politique et d’intensification de la violence armée, les femmes sont particulièrement vulnérables aux agressions sexuelles et à la violence liée au genre, à commencer par les viols. Ces deux dernières années, Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains ont rendu compte d’un grand nombre de cas de viols perpétrés par des bandes armées et d’autres agents non gouvernementaux. Les chiffres relatifs aux atteintes sexuelles publiés par les organisations de femmes haïtiennes sont alarmants, mais sans doute loin de représenter l’ampleur du problème, dans la mesure où la honte ressentie par les victimes de violences sexuelles et le manque de confiance dans l’appareil judiciaire amènent de nombreuses femmes à se taire. Il en ressort que la violence sexuelle et le viol sont des crimes particulièrement graves. Or, il est extrêmement préoccupant de constater que les cas signalés ne font pas l’objet d’enquêtes sérieuses et que les auteurs de ces actes ne sont pas traduits en justice.

En Haïti, les victimes d’atteintes sexuelles ont de bien maigres chances d’accéder aux tribunaux et d’obtenir que justice leur soit rendue. Certaines modifications ont beau avoir été apportées au Code pénal afin de redéfinir le viol comme une infraction pénale, plutôt que morale, la situation n’a pas vraiment changé dans la pratique puisque la justice n’est toujours pas rendue aux victimes de violence sexuelle.

Aux termes de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la torture s’entend de tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle des renseignements, de la punir, de l’intimider ou de faire pression sur elle, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit. Or, le viol cause une souffrance physique ou mentale aiguë, et est un acte délibéré perpétré dans l’intention d’intimider, d’outrager ou d’humilier la victime.

Selon Amnesty International, lorsqu’une femme est violée par un particulier (agent non gouvernemental) qui n’est pas un fonctionnaire de l’État, il s’agit d’un acte de torture dont l’État est responsable s’il n’a pas agi avec la diligence voulue pour prévenir ou punir le crime, ou pour donner réparation à la victime.

Amnesty International tient les États pour responsables lorsqu’ils ne prennent pas de mesures pour protéger les droits humains des femmes. Aux termes du droit international, les États ont en effet l’obligation de prendre des mesures efficaces pour interdire et prévenir la violence sexuelle, puis d’intervenir en cas d’allégation de viol, indépendamment du lieu et de l’auteur du crime, que ce dernier soit un agent gouvernemental, un conjoint violent ou un inconnu. Qui plus est, à titre d’État signataire de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après, la Convention des Nations unies sur les femmes) depuis 1981, Haïti est juridiquement contraint de respecter les dispositions de ladite Convention et de s’employer plus résolument à protéger les femmes contre la discrimination et la violence.

Des mesures immédiates s’imposent pour confronter et éradiquer toutes les formes de violence à l’égard des femmes. L’application des recommandations suivantes relève parfaitement des compétences du gouvernement d’Haïti et elle ne nécessite nullement l’investissement de ressources colossales. Elle exige par contre une volonté politique et une détermination à mettre un terme à la violence contre les femmes, en particulier aux viols et aux homicides, qui ne sauraient plus être tolérés. Ces mesures ne mettront toutefois pas fin à ces formes de violence tant que les problèmes de discrimination sous-jacente ne sont pas réglés.

Recommandations relatives à la violence contre les femmes

Condamner publiquement tous les actes de violence à l’égard des femmes
Le gouvernement d’Haïti devrait condamner clairement et publiquement tous les actes de violence à l’égard des femmes, qu’ils soient commis par des agents de la force publique ou par des particuliers. En agissant de concert avec les organisations de défense des femmes, il devrait élaborer des politiques et diffuser des documents en vue de promouvoir la sécurité des femmes dans leur foyer, dans la collectivité et en détention, et mener des campagnes d’initiation aux principes du droit pour informer les hommes et les femmes de leurs droits.
Instaurer un programme national pour mettre fin à la violence contre les femmes
Le gouvernement d’Haïti devrait instaurer un programme national pour mettre fin à la violence contre les femmes, en formant notamment un groupe de travail composé de représentants pertinents de l’État tels que des ministres, des magistrats, des juges, des policiers, des professionnels de la santé, des experts près les tribunaux et des membres d’organisations populaires et de défense des femmes. Ce programme national devrait avoir le mandat d’accompagner les femmes et les jeunes filles qui ont été victimes de violences sexuelles au fil du processus visant à obtenir justice et réparation. Il pourrait aussi s’appuyer sur la création d’un tribunal spécial chargé des cas de violence sexuelle ayant pour mandat de traduire en justice et de punir les auteurs d’actes de violence sexuelle et liée au genre. Par l’intermédiaire de ce programme, le gouvernement d’Haïti devrait en outre :
établir des statistiques fiables, à jour, sur le nombre de plaintes rattachées à la violence contre les femmes. Les allégations de violence sexuelle doivent être enregistrées et faire l’objet de véritables enquêtes approfondies, et des preuves doivent être recueillies et conservées ;
veiller à ce que les femmes ayant subi des violences aient accès aux services et ressources dont elles ont besoin, ainsi qu’à des services de réadaptation, et prévoir des mesures de protection spéciales pour les femmes et les jeunes filles de collectivités particulièrement exposées en raison de violences armées ;
garantir un accès gratuit et rapide à une aide psychologique, à de l’information et à des services de dépistage et de traitement des maladies sexuellement transmissibles, telles que le VIH/sida, ainsi qu’aux contraceptifs d’urgence. Sur recommandation des médecins, les victimes devraient recevoir gratuitement un traitement prophylactique post-exposition dans les 72 heures qui suivent le viol, pour prévenir une éventuelle infection à VIH ;
garantir l’accès à des services fiables et adéquats capables d’offrir aux victimes une aide psychologique et un soutien social en vue de leur réadaptation et de leur intégration ;
offrir des programmes efficaces de formation au personnel du système de santé publique sur la façon de prendre soin des victimes de violence sexuelle ;
mettre en œuvre des programmes de sensibilisation et d’information à l’intention des dirigeants des organismes publics et des membres influents de la société civile concernant l’importance de ne pas stigmatiser les victimes de violence sexuelle et liée au genre, et prendre des mesures pour renforcer l’autonomie des femmes et des jeunes filles afin qu’elles soient capables de demander de l’aide et un soutien adéquat.
Faire parvenir les rapports en retard au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes
Il incombe au gouvernement d’Haïti de faire parvenir les rapports en retard au Comité, dans les plus brefs délais possibles. Haïti a ratifié la Convention des Nations unies sur les femmes en 1981. Cette Convention a force obligatoire sur l’État d’Haïti et, en vertu de l’article 18, Haïti s’est également engagé à transmettre des rapports nationaux périodiques (au moins tous les quatre ans) sur les mesures prises par le gouvernement pour s’acquitter de ses obligations conventionnelles. Or, l’État d’Haïti n’a pas encore fait parvenir un seul rapport depuis qu’il est partie à la Convention.
Ratifier le Protocole facultatif à la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

3. L’administration de la justice

Amnesty International est consciente qu’une multitude de questions complexes entourent le processus de justice en Haïti, et que l’insuffisance des ressources dont il dispose pour traiter un nombre gigantesque de cas met constamment au défi l’appareil judiciaire. Elle exhorte le gouvernement d’Haïti à donner réparation aux victimes d’atteintes passées et à accélérer le déroulement des procès sans déroger aux normes d’équité, ainsi qu’à sensibiliser davantage l’opinion publique et à encourager le débat sur les questions de justice et de droits humains au sein de la population.

L’existence d’une magistrature indépendante et impartiale est la pierre angulaire du droit à un procès équitable en droit international. Elle garantit le respect des intérêts de la justice et des exigences d’équité et de primauté du droit, au sens large, notamment en prévenant l’abus de pouvoir des autorités exécutives à tous les échelons et l’exercice d’autres influences politiques sur l’application des lois et la justice.

Amnesty International pense que le gouvernement d’Haïti devrait entreprendre un examen complet de toutes les lois et procédures pour les mettre en conformité avec le droit et les normes admises en matière de droits humains. Haïti est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Convention interaméricaine relative aux droits de l’homme. Or, ces deux traités ont force obligatoire pour l’État d’Haïti et prévoient la protection des droits des personnes qui font face au système juridique. De plus, aux termes de la Constitution de la République d’Haïti (article 276.2), tous les traités internationaux ratifiés par Haïti font partie intégrante de la législation du pays. Le système juridique haïtien a par conséquent à sa disposition tous les outils essentiels dont il a besoin pour veiller à ce que l’administration de la justice protège les droits fondamentaux de tous les Haïtiens.

Recommandations sur l’administration de la justice

Entreprendre une réforme judiciaire pour consolider le système juridique
Les autorités doivent donner la priorité absolue au processus de réforme judiciaire, en agissant le plus rapidement possible sur la loi de réforme. Aucun effort ne doit être négligé pour renforcer l’indépendance, l’impartialité et l’efficacité du système juridique, de façon à ce qu’il puisse promouvoir le respect des droits humains, en application des principes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, des Principes de base relatifs au rôle du barreau, des Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature et des Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du parquet. Parallèlement à ces efforts, le gouvernement doit faire preuve d’une vigilance particulière pour garantir l’impartialité et l’indépendance des juges d’instruction et des pouvoirs publics responsables d’engager des poursuites. La formation et le recrutement de nouveaux juges et magistrats doivent être menés de façon à garantir l’impartialité politique. Le gouvernement doit veiller à ce que les membres de la magistrature reçoivent une formation adéquate sur tous les aspects des droits humains.

Mettre fin aux détentions arbitraires et aux détentions provisoires prolongées
Des mesures doivent être prises pour veiller à ce que nul ne soit détenu de façon arbitraire et que les personnes arrêtées du fait d’une infraction pénale comparaissent sans délai devant un juge. Le gouvernement doit veiller à ce que tous les détenus aient le droit de contester la légalité de leur détention devant un tribunal, et à ce qu’ils soient libérés si leur détention est jugée illégale. Il doit garantir à tous les détenus un procès équitable et conforme aux dispositions de l’article 14 du PIDCP et de l’article 8 de la Convention interaméricaine relative aux droits de l’homme, et ce, dans un délai raisonnable. De plus, des solutions de remplacement à la détention devraient être incorporées dans la législation haïtienne, en application des Règles minima des Nations unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté.
Établir un système de défense publique
Les efforts visant à mettre en place un système de défense publique devraient bénéficier d’un soutien financier et institutionnel adéquat.
Élaborer une politique nationale sur les poursuites pour atteinte aux droits humains
L’État haïtien doit élaborer une politique bien définie sur les poursuites relatives aux violations antérieures et actuelles des droits humains, en accord avec ses obligations internationales. Le tribunal et les autorités chargées d’engager les poursuites doivent s’acquitter de leurs obligations en assumant un rôle plus préventif lors des enquêtes sur les allégations d’atteintes aux droits humains et en portant les affaires devant les tribunaux conformément aux normes internationales. Les victimes de violations des droits humains perpétrées par des agents de l’État, ou par des particuliers agissant avec le consentement de l’État, devraient obtenir une juste réparation.

4. La réforme de la police

Amnesty International souhaite exprimer à nouveau l’inquiétude que lui cause l’incapacité de l’État à mener des enquêtes rigoureuses et approfondies, ainsi qu’à punir les auteurs de plusieurs exécutions extrajudiciaires qui auraient été commises par des agents de la Police nationale d’Haïti sous le gouvernement transitoire. Amnesty International a exprimé ces préoccupations, entre autres, dans plusieurs rapports, dont le dernier était intitulé Haïti. Lenteur du désarmement et déni de justice (index AI : AMR 36/005/2005). L’obligation de rendre des comptes qui incombe aux fonctionnaires en général, et aux agents de police en particulier, est la pierre angulaire des efforts d’établissement de la primauté du droit en Haïti et de restauration de la confiance de la population haïtienne dans cette institution, dont la devise est de «protéger et servir».

Selon Amnesty International, il est indispensable que les interventions de la Police nationale d’Haïti soient réalisées conformément aux dispositions du Code de conduite pour les responsables de l’application des lois et des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois [ONU]. Ces normes internationales restreignent rigoureusement le recours à la force par des représentants de la loi, en précisant que cette force ne peut être utilisée que lorsqu’elle est strictement nécessaire et proportionnelle à l’objectif ou à la menace en question, et que l’on ne peut recourir à la force meurtrière que lorsque cela est indispensable pour protéger des vies. Amnesty International compte également sur le nouveau gouvernement d’Haïti pour veiller à ce que des entités impartiales et indépendantes mènent une enquête rigoureuse sur toute allégation d’exécutions extrajudiciaires ou de recours excessif à la force, conformément aux Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions [ONU]. Enfin, Amnesty International désire souligner que les agents de la force publique sont tenus de connaître et d’appliquer les normes internationales relatives aux droits humains.

Recommandations concernant la police

Condamner publiquement les atteintes aux droits humains commises par des agents de police
Le chef de l’État, directeur général de la Police nationale d’Haïti, et l’inspecteur général de celle-ci doivent faire savoir haut et fort à tous les agents de police que les exécutions extrajudiciaires, le recours aveugle et disproportionné aux armes à feu et les mauvais traitements ne seront pas tolérés.
Améliorer le professionnalisme de la police
Les autorités haïtiennes, avec l’aide de la MINUSTHA, doivent prendre des mesures pour renforcer le professionnalisme de la police et son obligation de rendre des comptes au public en veillant à l’intégrité de chacun de ses membres. Elles doivent à cet effet entreprendre un examen approfondi des agents de police actuels et futurs et leur prodiguer une formation complète sur les questions relatives aux droits humains en général, et plus particulièrement sur la façon de traiter les allégations de violence liée au genre.
Garantir la responsabilité de la police
Les responsables de la Police nationale d’Haïti doivent donner la garantie que tout agent de police soupçonné de violer les droits humains sera immédiatement suspendu, qu’une enquête indépendante et impartiale sera menée, que des poursuites seront intentées et que les responsables présumés comparaîtront au tribunal. Il faudrait envisager la création d’une unité en charge des plaintes au sein du bureau de l’inspecteur général, afin que la population puisse plus facilement faire appel à ses services.
Respecter les normes internationales de police
Le gouvernement doit veiller à ce que tous les membres du personnel de la Police nationale d’Haïti connaissent parfaitement et respectent le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois et les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois établis par les Nations unies, ainsi que toutes les autres normes internationales pertinentes.
Veiller à ce que les agents de la Police nationale d’Haïti respectent le droit haïtien et les obligations internationales d’Haïti
La Police nationale et la magistrature doivent avoir l’ordre exprès de ne procéder à des arrestations et des perquisitions que dans le respect du droit haïtien et des obligations qui incombent à Haïti en vertu du PIDCP et de la Convention interaméricaine relative aux droits de l’homme.

5. Le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (DDR)

Amnesty International est préoccupée par l’absence de progrès notables réalisés en matière de désarmement des bandes armées, ainsi que de sécurité et de protection des civils. Elle est donc convaincue que le gouvernement d’Haïti doit mettre en œuvre énergiquement, sans plus tarder, un programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion ciblant l’ensemble de la société et tous les groupes armés, quels que soient leurs antécédents ou leur allégeance politiques.

Dans le climat actuel de violence et d’insécurité qui accable l’ensemble de la société haïtienne, le désarmement de tous les groupes armés est la première étape à franchir pour assurer la protection des civils et restaurer l’état de droit en Haïti. Le fait que les gouvernements antérieurs ne se soient pas attaqués au problème avec une ferme volonté politique et des ressources adéquates a eu des effets néfastes sur le contrôle de la circulation des armes au sein de la société haïtienne. Les homicides par armes à feu font quotidiennement la une des médias haïtiens, mais derrière ces drames médiatisés, la violence armée bouleverse la vie de milliers de Haïtiens, à commencer par celle des femmes et des enfants qui sont les plus vulnérables. Les armes exacerbent les atteintes aux droits humains ; elles font obstacle à la paix, au développement économique et au dialogue national que votre gouvernement tente de promouvoir. Le désarmement est donc une condition sine qua non de la création d’un environnement paisible et sécurisé pour tous les Haïtiens.

Les gouvernements précédents ayant laissé de côté la question du désarmement et du contrôle des armes, Amnesty International salue votre détermination à mettre en œuvre un programme de désarmement complet et le fait que votre gouvernement ait pris acte de la nécessité de régler ce problème d’urgence. Elle désire toutefois rappeler qu’il est impératif que le programme DDR soit conforme aux principes des droits humains, et notamment que les agents de police respectent le Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l’application des lois et les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois lorsqu’ils désarment des membres de groupes armés et des particuliers.

Recommandations sur le désarmement, la démobilisation et la réinsertion

Fournir des ressources adéquates pour le désarmement, la démobilisation et la réinsertion
Le gouvernement d’Haïti, avec l’aide de la MINUSTHA et de la communauté internationale, doit dégager des ressources adéquates pour faciliter le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des membres de bandes, notamment des enfants, et répondre à leurs besoins sociaux, psychologiques et matériels.
Réduire l’accès aux armes
Le gouvernement d’Haïti devrait mettre en place des programmes de réduction des armes, prévoyant par exemple leur ramassage et leur destruction, en conjonction avec les programmes DDR. L’entrée illégale de nouvelles armes devrait être empêchée et, le cas échéant, signalée au Conseil de sécurité des Nations unies afin qu’elle soit sanctionnée.

Veiller à ce que le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion cadre avec les principes des droits humains
Le gouvernement d’Haïti devrait créer une entité indépendante et impartiale chargée d’enquêter sur les personnes participant au processus de DDR qui sont raisonnablement soupçonnées d’avoir commis des atteintes aux droits humains ou participé à de tels crimes. Ces personnes devraient avoir à répondre de leurs actes.

L’ambition d’Amnesty International est de participer aux efforts accomplis en Haïti pour instaurer un climat de respect des droits humains. Dans ce contexte, je vous remercie d’avance de l’attention bienveillante que vous aurez bien voulu accorder à cette lettre, à laquelle je suis impatiente de recevoir votre réponse.

En espérant que nous aurons très bientôt l’occasion de discuter des recommandations d’Amnesty International, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération.

Irene Khan
Secrétaire générale