Grippe aviaire en Haïti : « pas de panique ! »
Comment Haïti doit affronter la réalité de la grippe aviaire ? C’est la question que l’on se pose désormais depuis que des foyers d’infection ont été découverts dans le pays au mois de juin. Les spécialistes de la médecine vétérinaire estiment qu’il ne faut pas céder à la panique puisque le virus H5N2 découvert sur l’île ne présente pas de danger pour l’homme et ne cause pas d’épidémie chez les poules. Le docteur en médecine vétérinaire Michel Chancy est de cet avis. Directeur de l’ONG Veterimed et secrétaire du Conseil d’administration de l’Association haïtienne pour la promotion de l’élevage (Ahpel), il a fait partie des missions haïtiennes dépêchées en République dominicaine pour inspecter les foyers d’infection en terre voisine. Michel Chancy a répondu aux questions d’Agropresse.
Agropresse : Sommes-nous en danger avec la présence du virus de la grippe aviaire en Haïti ?
Michel Chancy : Le type de virus de la grippe aviaire présent en Haïti, et découvert un peu avant en République dominicaine, est inoffensif. Il ne présente aucun danger pour l’homme et n’a même pas provoqué d’épidémie chez les poules. C’est le virus H5N2. Il n’est pas de type hautement pathogène. Ce virus fait partie de la famille Influenza aviaire mais est très différent du virus H5N1 qui fait des dégâts dans certaines régions du monde, particulièrement en Asie, où il tue les poules en grande quantité et à causé la mort de certaines personnes.
Le virus H5N2, présent sur l’île, existe aussi dans plusieurs autres pays du continent américain, contrairement au virus H5N1 qui n’est pas présent dans le continent.
Les Dominicains ont découvert chez eux le virus H5N2 par hasard, lors de la réalisation de tests de routine sur des poules, mères de coqs de combat, qui allaient être exportées vers la Colombie. Ces tests avaient été exigés par les autorités Colombiennes. Les poules ne présentaient aucun signe de maladie comme d’ailleurs toutes les autres volailles qui ont été diagnostiquées positives par la suite en République dominicaine et maintenant en Haïti.
Après avoir découvert le virus dans la région de Higuey, et avec beaucoup de retard, les autorités dominicaines ont procédé à des opérations d’abattage des coqs de combat et désinfection des installations d’élevage dont provenaient les animaux testés positifs. Mais aussi la visite d’observation des experts haïtiens dont je faisais partie en République dominicaine a révélé que ce travail a été très superficiel et qu’il ne pouvait pas empêcher la dissémination du virus.
Jusqu’à aujourd’hui, les Dominicains ne peuvent pas dire d’où provient le virus et depuis quand il existe chez eux. Tout ceci me permet d’affirmer que cette action à Higuey visait surtout à convaincre les autorités haïtiennes de lever l’interdiction des exportations de leurs produits avicoles vers notre marché.
Agropresse : Pourquoi une interdiction des importations d’œufs de la République dominicaine, si le virus H5N2 de la grippe aviaire ne présente pas de danger ni pour les volailles, ni pour l’homme ?
Michel Chancy : Effectivement, le virus présent sur l’île n’a pas provoqué de maladie. Cependant, il peut toujours muter pour devenir plus pathogène à l’avenir pour les poules, mais pas pour les hommes. C’est pourquoi, comme la Colombie et tout autre pays, Haïti n’a aucun intérêt à laisser entrer sur son territoire un nouveau virus, même inoffensif. Il faut protéger nos volailles. C’est ce qui a justifié la mesure d’interdiction des importations de volailles et d’œufs dominicains. Tout semble indiquer que les animaux testés positifs récemment en Haïti proviennent de la République dominicaine. Il s’agit de coqs de combats importés et de poulets introduits en contrebande sur la frontière. La dissémination du virus semble récente et limitée. Il faut donc continuer à interdire l’entrée des produits avicoles dominicains en Haïti.
Agropresse : Comment un pays peut faire disparaitre chez lui le virus ?
Michel Chancy : Si le virus a été découvert dans un foyer et que l’on détruise toutes les poules se trouvant dans l’environnement de ce foyer et qu’on arrive à contrôler les mouvements de véhicules, d’animaux et des personnes, cela peut constituer un premier moyen d’empêcher la propagation du virus. Cependant, une telle action ne garantit pas un succès à coup sûr. Ce sont des opérations risquées. Pour preuve, quand les Dominicains ont fait des investigations dans d’autres endroits de leur territoire, ils ont trouvé beaucoup d’autres foyers d’infection. En clair, le virus H5N2 de la grippe aviaire est à présent sur tout le territoire dominicain. En fait, on a découvert le virus à Higuey, mais rien ne dit qu’il s’agissait d’un foyer primaire, c’est-à-dire du premier foyer d’infection sur le territoire dominicain. Ainsi, il est bien possible que les Dominicains s’en doutaient et c’est peut être ce qui explique pourquoi les opérations d’abattage et de contrôle de ce foyer on été faites avec tant de légèreté. Ils savaient ce qu’ils faisaient et tuer toutes les poules n’allait plus servir à grand chose.
Il faut être clair que ce n’est pas une tâche facile d’arriver à éliminer la présence du virus de la grippe aviaire dans un pays. Même certains pays industrialisés n’arrivent pas à le faire. En Russie par exemple, ils avaient pourtant découvert chez eux le virus dangereux – le H5N1 – et ont choisi de recourir à la vaccination en lieu et place de l’abattage systématique. Celui-ci demande une capacité logistique extraordinaire, souvent des appuis militaires qui malgré tout ne fournissent pas toutes les garanties. Le virus peut être transporté par n’importe quel oiseau, et surtout les oiseaux migrateurs, volant d’un pays à un autre. Et il n’y pas moyen pour contrôler le mouvement de ces oiseaux.
Agropresse : Actuellement dans le monde, existe-t-il un vaccin pouvant aider à lutter contre le virus H5N1 ou le virus H5N2 ? Y a-t-il des risques avec la vaccination ?
Michel Chancy : Oui il existe un vaccin. Mais quand vous faites de la vaccination, vous rendez beaucoup plus difficile la possibilité d’éradiquer complètement la présence du virus sur votre territoire. Dans ce cas précis, le vaccin prévient la maladie mais n’empêche pas la circulation virale. Certains animaux peuvent même continuer à disséminer le virus tout en étant vaccinés. D’un autre côté, il est compliqué de déterminer quel animal a des anticorps parce qu’il a été vacciné ou quel autre a des anticorps parce qu’il est encore porteur du virus. Le choix de la vaccination signifie qu’on accepte pratiquement que le virus va rester chez soi. Mais dans bien des pays, c’est ce qu’on a choisi car l’autre méthode n’est pas réalisable. Décider de rester avec le virus sur son territoire est une décision très embêtante pour les pays qui prétendent exporter leurs produits avicoles, car ils seront toujours pointés du doigt. C’est le cas de la République dominicaine, mais non celui d’Haïti.
Chaque décision a ses avantages et ses inconvénients. Donc, il faut évaluer les risques et les coûts.
L’abattage systématique des volailles a des coûts économiques, politiques et sociaux. De plus, il faut avoir la capacité réelle de s’assurer que l’opération sera techniquement une réussite. Il faut pouvoir contrôler le mouvement des animaux, des personnes et du matériel sur les territoires.
Nous avons la certitude que le virus est en expansion en République dominicaine. En Haïti, nous savons qu’il est présent aussi dans plusieurs points du territoire, car des foyers d’infection ont été découverts à plusieurs endroits : dans le Nord (Ouanaminthe, Limonade, Cap-Haïtien, Ferrier,…), dans le Plateau central (Cerca Lasource), Nippes (Miragoâne). Donc, avec un peu plus de recherches, on verrait probablement que le virus est en train de se répandre dans le pays.
Agropresse : Doit-on procéder à la vaccination des poules en Haïti ?
Michel Chancy : Puisque le virus est de type très faiblement pathogène et ne tue pas les poules et que de plus, il ne se transmet pas à l’homme, il n’y a ni nécessité ni urgence de procéder à la vaccination des poules. La vaccination demande aussi une organisation logistique importante. Nous voyons les difficultés que nous avons pour vacciner les poules contre la maladie de Newcastle, qui cause depuis très longtemps beaucoup de dégâts en Haïti. Tous les Haïtiens connaissent bien « Lafyèv poul » qui tue des milliers de poules chaque année après l’époque du carême. Quelle serait la rationalité de la décision de déclencher une opération majeure, de mobiliser d’énormes moyens pour combattre un virus comme le H5N2 qui ne menace pas l’homme, qui ne provoque même pas actuellement de maladie chez les poules, alors qu’on n’arrive pas à contrôler une autre maladie connue de tous, qui provoque chaque année d’énormes pertes économiques dans le milieu rural ?
Agropresse : Vous dites que le H5N2 ne provoque pas actuellement de maladie chez la poule. Cela veut il dire qu’un jour ce virus pourrait provoquer de la maladie ?
Michel Chancy : Il est possible effectivement que le virus H5N2 mute. Et cela s’est produit dans d’autres pays comme le Mexique, par exemple. Et dans ce pays comme dans d’autres il y a des programmes de vaccination contre cette maladie. Lorsque les poules sont atteintes du H5N2, elles présentent les mêmes signes que la maladie de Newcastle, qui sont : une grande épidémie ou beaucoup de poules meurent, avec des problèmes respiratoires, le rhume, parfois de la diarrhée et parfois même des problèmes neurologiques. Mais, même lorsqu’il y a mutation du H5N2, le virus n’est pas dangereux pour l’homme.
Agropresse : Et dans le cas du H5N1, quels sont les symptômes?
Michel Chancy : Dans le cas du H5N1 présent en Asie et en Afrique, les signes sont les mêmes : grande mortalité chez les poules, mêmes signes cliniques (rhume, diarrhée etc…) et dans certains cas, une transmission à l’homme.
Agropresse : Si cette possibilité de mutation du H5N2 en une souche plus pathogène existe, comment Haïti doit-elle réagir après la découverte du virus sur son territoire ?
Michel Chancy : La découverte du virus de la grippe aviaire sur l’île est une opportunité pour les deux pays de réfléchir et d’évaluer leur capacité à affronter une présence éventuelle du virus H5N1, le plus dangereux. Elle constitue une sorte de répétition générale tant pour Haïti que pour la République dominicaine. L’île toute entière doit être considérée comme un seul territoire sanitaire. Les virus et les oiseaux ne connaissent pas de frontière et n’ont pas besoin de visa. Les autorités des deux pays doivent adopter un plan commun de lutte contre le H5N2 et de prévention du H5N1.
Agropresse : Si le H5N2 mute et devient plus pathogène, est-ce qu’il pourrait devenir dangereux pour l’homme ?
Michel Chancy : Dans les pays où le H5N2 a muté il n’a jamais affecté l’homme. Donc on ne s’intéresse au H5N2 que pour la santé des volailles.
Agropresse : Est-ce que le H5N2 peut se transformer en H5N1?
Michel Chancy : Non.
Agropresse : Quel comportement les éleveurs devraient adopter après la découverte du virus H5N2 en Haïti ?
Michel Chancy : Au niveau de l’élevage en milieu paysan, certaines habitudes doivent changer. Il faut contrôler les poules beaucoup plus. Il faut améliorer les conditions d’élevage. Les éleveurs doivent penser à construire par exemple un poulailler pour que les poules puissent au moins être rassemblées la nuit. Cela permettra de suivre de près les poules, de voir quand elles sont malades, de les soigner quand elles en ont besoin ou de les vacciner. Ensuite, il faut limiter l’élevage dans un espace donné. Au niveau de l’élevage industriel, il y a nécessité de sécuriser les poulaillers pour y empêcher trop de mouvements de personnes qui à leur insu, peuvent transporter des virus sous leurs souliers par exemple, après avoir marché sur les excréments d’un animal malade, d’une ferme à une autre. Les éleveurs doivent, par exemple, aller vers les acheteurs pour les approvisionner, au lieu de faire venir directement les marchands aux poulaillers. Il faut limiter les entrées des visiteurs.
Dans les conditions actuelles du pays, et à partir des informations divulguées sur l’expansion du virus, je crois qu’il faut continuer à suivre l’évolution du virus dans le pays par des tests systématiques comme cela est en train d’être fait par le Ministère de l’Agriculture. Et si le virus devait muter, et que le Ministère de l’Agriculture décide de procéder à la vaccination, à ce moment, il faudrait vacciner les poules à la fois contre le virus H5N2 et le Newcastle. Si nous nous étions déjà organisés pour vacciner plus efficacement nos poules contre la maladie du Newcastle, nous serions alors mieux préparés pour également vacciner contre le virus H5N2 ou le H5N1.
Agropresse : Peut-on être sûr que le H5N1 n’est pas présent sur l’Ile ?
Michel Chancy : Définitivement, car le Ministère de l’Agriculture a mis un dispositif très efficace et systématique de surveillance du territoire. Par exemple, tous les plans d’eau du pays qui servent de reposoir pour les oiseaux migrateurs sont sur constante surveillance avec des agents vétérinaires qui collectent des échantillons sur les animaux régulièrement. Des milliers d’analyses ont été réalisées pour détecter le H5N1 et d’autres virus très pathogènes et il s’agit d’un système permanent de surveillance monté il y a plusieurs mois. Le laboratoire vétérinaire de Tamarinier est bien équipé et les échantillons douteux sont ré-analysés par un laboratoire de référence aux États-Unis. Tout ceci se fait selon une procédure internationale et Haïti est considéré comme l’un des États dans la région où les responsables de la santé animale ont monté un des meilleurs systèmes de surveillance et de prévention de la grippe aviaire.