Atterrir à Port-au-Prince au crépuscule, c’est être saisi par une absence.
L’absence de bruits dans une ville d’habitude bouillonnante. La capitale haïtienne est plongée dans le silence et la pénombre. Seuls les feux de broussaille et les pneus en combustion éclairent Port-au-Prince. Des barricades bouchent les artères principales. Les marchands et les cantines de rue ont disparu des trottoirs. Cette atmosphère de fin du monde rappelle les jours qui ont suivi le tremblement de terre du 12 janvier 2010.
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Fin octobre, matinée d’accalmie. Les manifestations sont prévues pour l’après-midi, le marché central reprend un peu vie. Pas pour longtemps. Une fusillade éclate. La foule de passants et de marchands s’éparpille. «Probablement un règlement de compte entre gangs», dit André Paultre, journaliste haïtien qui travaille pour plusieurs médias internationaux.
Des dizaines de groupes criminels sèment la terreur et contrôlent des quartiers entiers de la capitale devenus des zones de non-droit. «Pas moins de 96 gangs [sévissent] à travers le pays», déplorait lundi Jean Rebel Dorcena, l’un des responsables de la Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion, qui dénonce la prolifération des armes à feu et des gangs.
«Ces bandits sont à la solde de personnalités du pouvoir, ont des relations avec des membres de l’opposition et reçoivent des fonds de certains patrons du secteur privé.» Toujours selon Dorcena, environ 500 000 armes illégales seraient en circulation en Haïti. «La criminalité s’est aggravée, il y a deux ans, avec le départ des troupes de la Minustah [la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti, ndlr], poursuit André Paultre. Depuis, les gangs font la loi.» Ils prospèrent principalement avec le trafic de drogue. Haïti est devenu une plaque tournante entre l’Amérique du Sud et les Etats-Unis.