En déficit budgétaire « record » et « indésirable », le FMI appelle Haïti à rééquilibrer ses finances, selon Pierre Marie Boisson
L’accord sur un nouveau cadre de référence ou staff monitored program signé dimanche par le gouvernement avec le Fonds monétaire international « est une bonne nouvelle », a estimé tout de go l’économiste Pierre-Marie Boisson, en interview avec le journal, ce mardi 27 février 2018. Il n’y a cependant pas de raison pour l’administration Moïse/Lafontant de sabrer le champagne. C’est une « bonne nouvelle », a insisté l’économiste, « dans la mesure où il y avait une situation préoccupante pour le déficit budgétaire monétisé par la banque centrale qui a dépassé les 9 milliards de gourdes pour les quatre premiers mois et demi de l’exercice ».
Pour avoir une échelle d’évaluation, si ce niveau de déficit budgétaire « record », « indésirable » se poursuit, il pourrait atteindre les 30 milliards de gourdes à la fin de l’exercice, soit pas loin de 500 millions de dollars, l’équivalent de 5 % du PIB de 9 milliards de dollars, a projeté l’économiste Pierre-Marie Boisson dont l’analyse des chiffres du déficit budgétaire montre que ce sont « surtout les dépenses qui ont augmenté » à côté d’un manque à gagner lié à la contrebande à la frontière haitiano-dominicaine, aux financements publics à l’ED’H et à l’augmentation des prix du pétrole sur le marché international, non répercutée à travers un ajustement des prix à la pompe en Haïti. Cet protocole d’accord de six mois du gouvernement avec le FMI pour œuvrer au rééquilibre des finances publiques n’est pas un « accord de substance », difficile à obtenir avec ce niveau de déficit budgétaire. Le protocole signé entraîne « des contraintes dont la satisfaction est préalable à l’obtention d’autres financements en appui budgétaire », a poursuivi Pierre-Marie Boisson, révélant que l’Union européenne a programmé 120 millions de dollars d’appui budgétaire non encore décaissé pour Haïti.
« Il est clair que les bailleurs ne sont pas confortables avec une situation de finances publiques déséquilibrée qui donnerait lieu à une création monétaire importante. Ils estiment aujourd’hui que le gouvernement peut difficilement mobiliser les ressources d’emprunt susceptibles de financer le déficit budgétaire en dehors de ce qu’ils octroient eux-memes en appui budgétaire », a confié l’économiste Pierre-Marie Boisson. Cependant, le gouvernement, à la lecture du communiqué officiel du FMI, semble avoir pris des engagements dont le premier est « de réduire son déficit financé par la BRH à zéro ». « Il s’agit d’un engagement important qui suppose un budget rectificatif incluant une augmentation importante des recettes et/ou une diminution des dépenses », a estimé Pierre-Marie Boisson, qui relève, par exemple, que le gouvernement et le FMI semblent diverger concernant l’ajustement des prix des produits pétroliers à la pompe sur lequel les prévisions de recettes sont de 11 milliards de gourdes dans le budget 2017-2018. « Dans le communiqué du FMI que j’ai lu, il est clairement dit que le Fonds s’attend à un ajustement des prix de détails des produits pétroliers », a expliqué Pierre-Marie Boisson à un moment au cette option semble etre écartée par le ministre de l’Economie et des Finances à cause, soutient-il, de situation socio-économique difficile de la population, ce qui peut se comprendre et que M. Boisson avait anticipé au moment de l’adoption de la loi de finance 2017-18.
« Il est toutefois probable que l’un des sacrifices que doit faire le gouvernement pour satisfaire au protocole d’accord signé est l’ajustement des prix », a indiqué Pierre-Marie Boisson, estimant que les appels et exigences de réforme à l’ED’H pour augmenter le taux de facturation et de recouvrement ne datent pas d’hier. « Je ne suis pas surpris par cette demande du Fonds », a-t-il poursuivi, sans faire l’économie de souligner que le FMI n’a pas parlé des contrats existants, mais des « méthodes de contracting », pour les contrats futurs. Si une facturation et un recouvrement plus efficace par l’EDH peut produire des retombées à court terme, réformer le contenu des contrats futurs et les appliquer ne donnera pas d’impact immédiat sur le déficit budgétaire. Cela pourrait se faire sur le moyen terme, a expliqué Pierre-Marie Boisson, qui analyse l’impact du déficit budgétaire sur l’économie. « Quand il y a déficit budgétaire financé par la BRH, la création de gourdes additionnelles fait pression sur le taux de change. Contrecarrer cette pression conduit généralement à taxer les réserves internationales gérées par la BRH. Le Fonds a indiqué qu’il ne souhaite pas que ce soit le cas. Je suis d’accord avec le FMI sur ce point », a indiqué l’économiste Pierre-Marie Boisson.
« Quand on utilise massivement l’arme des réserves pour corriger le taux de change qui répond à des pressions monétaires, cela entraîne un effet pernicieux sur le secteur privé et le crédit bancaire. Ceci entraîne aussi des problèmes de compétitivité », a-t-il poursuivi. « Le fonds dit qu’il faut flexibiliser davantage le taux de change pour ne pas baisser sensiblement le niveau des réserves internationales », a indiqué Pierre-Marie Boisson. En ce qui concerne l’inflation, actuellement à 13,3 %, que le Fonds et le gouvernement voudraient voir « à 10 % à moyen terme », cet économiste sénior ne remet pas en question mais souligne que « quand il y a une création monétaire, forcément cela va avoir un impact sur la croissance de la monnaie donc sur l’inflation ». Pour Pierre-Marie Boisson, il faudrait que l’administration Moïse/Lafontant joue cartes sur table avec le FMI et indique s’il le faut les contraintes socio-économiques liées à l’atteinte du niveau zéro de financement monétaire du déficit. Pourvu que ce niveau reste faible, ne dépassant pas 1 ou 2 % du PIB, et qu’il supporte une croissance à travers l’agriculture, le secteur manufacturier, particulièrement le textile, et le secteur des services, ce modeste financement du déficit public pourrait être bénéfique. Mais attention : l’inflation domestique au dessus de celle de nos partenaires commerciaux, les états-unis au premier chef, sans une dépréciation parallèle de la gourde, a des impacts négatifs sur les exportations et l’agriculture en rendant par exemple le riz produit en Haïti moins compétitif par rapport au riz importé, acheté à meilleur prix par le consommateur, a illustré Pierre-Marie Boisson, qui craint un ralentissement de l’économie en pareille situation. Presque au milieu de l’exercice budgétaire, l’accord signé par le gouvernement avec le FMI, qui est plus un « memorandum of understanding (MOU) » qu’un « accord de substance », a l’avantage, comme un bilan d’étape, de présenter un tableau financier à l’administration Moïse/Lafontant qui devrait faire attention à ne pas rompre des équilibres fragiles en essayant de sortir du trou…