Banane : Agritrans cherche un nouveau souffle

Publié sur le Nouvelliste

Depuis juillet 2016 Agritrans n’exporte plus de bananes vers l’Europe. La production est à l’arrêt. Des centaines d’hectares de terre sont en jachère. Une nouvelle variété de bananes doit bientôt remplacer les plans qui avaient suscité l’espoir de la reprise de l’exportation de cette denrée plus de soixante ans après le départ de la dernière cargaison depuis Haïti datant de 1955. Une maladie, de nouvelles orientations, l’agriculture n’a jamais paru plus fragile qu’avec ce projet pharaonique qui cherche un nouveau souffle.

Jouxtant l’Université Roi Henri Christophe de Limonade, se trouvant presque en face du parc industriel de Caracol sur la route nationale #6 conduisant à Ouanaminthe, le projet Agritrans, qui a suscité deux ans plus tôt pas mal d’éloges, a beaucoup perdu de sa superbe, a constaté sur place vendredi dernier une équipe du Nouvelliste. Du projet, officiellement lancé en grande pompe en octobre 2014 dans le département du Nord-Est, il n’en reste qu’un véritable champ de ruines surveillé de près par des gardiens sur le qui-vive empêchant les journalistes, qui s’étaient rendus sur place, de visiter, de filmer ou de photographier la plantation.

Projet agricole-phare de la présidence Martelly, la plantation de bananes, qui devait s’étendre sur mille hectares, est complètement dévastée. Le spectacle de ce vendredi 17 mars dernier est sinistre, avec des bouts de tuyaux cassés du système d’irrigation qui pendent, des vaches qui broutent allègrement, une bonne partie de la terre remuée. La quasi-totalité des bananiers aperçus ont perdu feuilles et fruits. Alix Joseph, technicien en réseau hydraulique, laissant la ferme à bord d’un pick-up, du bout des lèvres, a indiqué que la plantation était « en phase de réparation. » Selon lui, de nouvelles plantules seront bientôt mises en terre. Des préparations en ce sens sont en cours. C’est ce qui explique l’état actuel de la ferme. Même son de cloche du côté de Pierre-Richard Joseph, le manager de la compagnie Agritrans S.A. « Nous ne sommes pas en difficulté », affirme ce dernier, voulant faire taire, une fois pour toutes, les rumeurs autour de la mise à l’arrêt de la plantation qui se trouve en ce moment totalement en friche. Evoquant l’état de ruine actuel dans lequel se trouve la plantation, Pierre-Richard Joseph préfère parler d’un choix stratégique consistant à laisser mourir la bananeraie pour pouvoir y introduire une nouvelle variété de plantules qui va produire beaucoup plus de kilogrammes de bananes par hectare. « Nous avons découvert que si nous changeons de variété, la nouvelle nous donnera entre 75 et 85% de rendement additionnel par année », a fait savoir au journal le manager d’Agritrans S.A., qui dit vouloir rassurer le public face aux gens malintentionnés qui veulent crier sur tous les toits que la compagnie a fait faillite.

« Nous allons remplacer la partie recouverte de bananes en 2016 par cette nouvelle variété tout en mettant de nouveaux espaces en exploitation », explique-t-il, assimilant la destruction de la plantation à un recul pour obtenir dans les prochains mois de bien meilleurs résultats. A long terme, poursuit l’actuel président d’Agritrans S.A., la nouvelle variété garantira un meilleur rendement, sans compter qu’elle sera beaucoup plus résistante aux maladies. Questionné sur l’éventuelle attaque de la ferme par la cercosporiose noire (ou sigatoka noir) – une maladie foliaire du bananier causée par le champignon ascomycète –, Pierre-Richard Joseph précise que toute ferme agricole est exposée au sigatoka noir. En ce sens, il n’écarte pas totalement cette possibilité car, dit-il, à partir du moment où la décision de remplacer les plantules a été prise, il y a eu une certaine négligence sur le traitement. « Aujourd’hui, le processus est presque abouti. Le peu qui reste à faire exige plus de travail que d’argent. Au niveau du fonds propre de la compagnie, nous pouvons y faire face. Cette nouvelle orientation ne nécessite pas de financement bancaire », précise Pierre-Richard Joseph, évoquant des engagements au nom desquels il ne peut pas laisser tomber la compagnie. « Je ne comprends vraiment pas comment nous pourrions laisser tomber après avoir pris tous ces engagements, envers nous-mêmes, envers nos familles, envers nos actionnaires, envers les institutions financières ? », s’insurge ce dernier assurant qu’Agritrans S.A. paie régulièrement, chaque mois, au Fonds de développement industriel (FDI) la dette qu’elle avait contractée.

Hormis les agents de sécurité, présents pour empêcher quiconque de s’approcher de la ferme de trop près – et qui ont accouru à la barrière pour nous interdire de filmer et de photographier l’intérieur sur un ton lourd de menaces, on aurait pu croire à un vaste terrain abandonné. Pour les automobilistes et les motocyclistes, l’intérieur de la ferme n’est pas aussi visible qu’avant à cause d’un rideau de plantes ajouté à la clôture en bambou longeant le bord de la route sur plusieurs kilomètres.

Le projet Agritrans a reçu le support de plusieurs ministères, notamment celui du ministère de l’Economie et des Finances (MEF) et celui du ministère de l’Agriculture. L’ancienne ministre de l’Economie et des Finances, Marie-Carmelle Jean-Marie, avait résumé ainsi l’appui que le MEF a apporté à ce projet : financement à travers le FDI – avec à la clé un prêt participatif de 6 millions de dollars, arpentage des mille hectares de la ferme, concession de 25 ans renouvelable pour le terrain et mise à la disposition des paysans qui occupaient le terrain des titres de propriété. Le ministère de l’Agriculture avait mis à la disposition d’Agritrans les équipements nécessaires pour la préparation du terrain (tracteurs pour des travaux de labour) et lui avait octroyé une première subvention de 500 000 gourdes, selon Thomas Jacques, ministre de l’Agriculture de l’époque.

« Depuis juillet 2016, nous avons arrêté nos livraisons sur l’Europe quand nous avons décidé de changer de variété de plantules », a fait savoir le manager, soulignant que cette décision a été prise de concert avec Port International, le principal client à qui Agritrans a livré ses cargaisons de bananes à destination de l’Europe de septembre 2015 à 6 juillet 2016.