SITUATION DES ENFANTS EN CONFLIT AVEC LA LOI :
Le RNDDH Fait Le Point
19 novembre 2007
INTRODUCTION
Le 20 novembre 2007 marque le dix-huitième anniversaire de l’adoption de la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant par l’Organisation des Nations Unies (ONU)-Résolution 44/25 du 20 novembre 1989. Par cette Convention, la communauté internationale entend promouvoir les droits de
l’Enfant et porter tout un chacun à réfléchir sur les différents problèmes auxquels les enfants sont confrontés à travers le monde, particulièrement, les problèmes liés à la jouissance de leurs droits. Depuis, la date du 20 novembre est retenue pour la célébration de la journée internationale de l’Enfant. Cette convention entra en vigueur le 2 septembre 1990, conformément à son article 49. De par son importance, elle constitue la convention la plus ratifiée par les pays membres de l’ONU car, elle répond à une nécessité dûment constatée. Le 23 décembre 1994, Haïti, l’un des membres fondateurs de l’ONU a ratifié cette convention. Cependant, la législation haïtienne, était déjà très avancée au sujet des enfants dans les domaines de protection en général et particulièrement, dans le domaine de la protection des mineurs en domesticité, en conflit avec la Loi etc. Elle sera renforcée par cette convention. Malgré l’existence de ces garanties, le RNDDH, engagé dans le respect des droits de tous et de chacun, constate le non-respect systématique des droits des enfants haïtiens. Cependant, dans le cadre de ce rapport, il se propose de faire ressortir la situation des enfants en conflit avec la Loi tant au regard de la législation nationale que de la Convention relative aux Droits de l’Enfant. Ce rapport, divisé en cinq (5) points traite des dispositions légales générales en matière de justice pénale pour mineurs, de la situation actuelle des mineurs en conflit avec la Loi et présente les commentaires et recommandations du RNDDH.
I. DISPOSITIONS LEGALES GENERALES EN MATIERE DE PROTECTION DES MINEURS EN CONFLIT AVEC LA LOI
En Haïti, la loi du 31 juillet 1952 fait obligation à tout gouvernement d’organiser l’avenir de la jeunesse, de lui ménager une atmosphère judiciaire particulière et de la soustraire à la promiscuité des prisons, lorsque cette jeunesse a le malheur de s’engager sur la voie du crime. La Loi du 20 novembre 1961 prévoit que tous les mineurs appréhendés par la Police seront placés au centre d’accueil de carrefour (autrefois appelé Centre d’Accueil Duval Duvalier) en attendant que le parquet pour mineurs fasse l’extraction et renvoie leurs dossiers par devant le cabinet d’instruction pour les suites légales. En effet, en matière de justice pour mineurs, l’instruction est obligatoire. Cette instruction comprend trois (3) phases incontournables : l’enquête de personnalité, l’examen médical et l’examen psychologique. Les décisions pouvant être prises à l’encontre des mineurs n’ayant pas encore atteint l’âge de la responsabilité pénale, fixé à 16 ans pour Haïti, sont prévues dans les articles 11 et 12 de la loi du 20 novembre 1961. Ces décisions sont rendues au Nom de la République et se résument en : la mesure de protection, de surveillance, d’assistance ou d’éducation, le placement familial, le placement définitif du mineur au centre d’accueil.
Toujours selon la Loi, le mineur n’ayant pas encore atteint l’âge de la responsabilité pénale ne doit pas être emprisonné. Il est mis dans un centre de correction, de rééducation et de réinsertion. Pour corroborer ces dispositions, la Convention relative aux Droits de l’Enfant en son article 37 stipule que « l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement des mineurs doivent être des mesures de dernier ressort, et d’une durée aussi brève que possible; ces enfants subissant cette décision seront traités d’une manière tenant compte des exigences de leur âge et jouiront du droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée. »
II. SITUATION GENERALE DES MINEURS EN CONFLIT AVEC LA LOI
En Haïti, la situation des mineurs en conflit avec la Loi est accablante. En effet, la désaffectation, en 2004, de la prison civile du Fort National – jadis réservée aux femmes et aux mineurs tant garçons que filles – a porté les autorités pénitentiaires à construire, dans le département de l’Ouest, à Delmas 33, un centre carcéral destiné spécifiquement aux garçons, et à transférer les filles et les femmes à la prison civile de Pétion-ville.
La situation des mineurs gardés dans les centres de détention du pays n’est pas différente de celle des adultes. Ils font donc face à tous les problèmes récurrents de l’Administration Pénitentiaire, à savoir : insalubrité, promiscuité, surencombrement des cellules, détention préventive prolongée, mauvaise qualité de la nourriture et de l’eau utilisée, non séparation des détenus et absence de programme étatique en matière de réinsertion sociale.
III. Situation juridique des mineurs
La délinquance juvénile connaît un essor considérable dans le pays. Un simple regard sur les registres des prisons prouve que les mineurs sont incarcérés tant pour des cas de contravention, de délit que pour des crimes comme le viol, le vol, l’association de malfaiteurs, l’enlèvement et la séquestration etc.
A l’exception de la prison civile de Delmas 33, les mineurs ne sont pas séparés des adultes. Dans la prison civile de Pétion-ville et dans toutes les autres prisons du pays, la répartition se fait sur la base du sexe. On retrouve donc dans une même cellule, des hommes et des petits garçons, des femmes et des petites filles, peu importe leur statut juridique.
• Fréquence des réquisitoires supplétifs du Parquet
Bien que la loi reconnaisse au Commissaire du Gouvernement la prérogative d’exiger des suppléments d’informations aux juges d’instruction, le parquet en fait un usage abusif. Cet état de fait ralentit davantage le travail des juges d’instruction et prolonge la détention préventive. Citons en exemple deux cas :
Ricardo1 est écroué à la prison civile de Delmas le 19 août 2004 pour complicité de meurtre. Depuis 2006, son dossier complet ainsi que les résultats de l’enquête du juge d’instruction ont été envoyés au Parquet. Jusqu’à date, il n’a aucune information concernant l’avancement de son dossier.
Mackenson et Junior, écroués respectivement les 19 et 21 novembre 2004 pour leur implication présumée dans des actes d’association de malfaiteurs, font aussi l’objet d’une enquête judiciaire dont les résultats ont été envoyés au parquet depuis 2005. Ils attendent encore leur ordonnance de clôture.
• Non signification des dispositifs de jugement
Plusieurs dispositifs de jugements ne sont pas signifiés aux personnes ayant eu la chance de passer par devant instance de jugement. Ceci s’est produit tant au cours de cette année que de l’année 2006. Cette pratique a tendance à se généraliser dans toutes les juridictions du pays et n’épargne pas les mineurs.
A la prison civile de Delmas, jusqu’au mois d’octobre 2007, aucun dispositif de jugement n’est parvenu. En témoignent les cas de David et de Joseph :
En 2006, sous le chef d’accusation d’association de malfaiteurs, David et Joseph ont été reconnus coupables et ont écopé d’un verdict de six (6) ans d’enfermement dans un centre de rééducation. Jusqu’à date, ils sont placés à la prison civile de Delmas sans leur dispositif de jugement.
• Le cas inclassable de Wilfrid FERNAND
Wilfrid FERNAND est un jeune de vingt (20) an. Il a été incarcéré à l’âge de 17 ans avec plusieurs autres individus, le 21 mai 2004, pour association de malfaiteurs. Il a atteint sa majorité en prison. En mai 2006, ses présumés complices sont passés par devant le tribunal criminel sans assistance de jury.
Wilfrid FERNAND figurait sur la liste des personnes devant être jugées mais, le jour du jugement, il n’a pas entendu son nom vu qu’il ne se trouvait pas dans la même cellule que ses co-accusés. Il est encore en prison sans savoir à quel saint se vouer. Il verra sa chance de bénéficier d’une extraction judiciaire s’amenuiser avec son transfèrement, en date du 24 novembre 2006, à la prison civile de Carrefour.
D’une manière générale, les mineurs ne sont pas exempts du mal chronique qui ronge l’administration pénitentiaire, savoir, la détention préventive prolongée. En effet, jusqu’au 23 octobre 2007, la population carcérale infantile est estimée à deux cent cinquante-quatre (254) mineurs dont trente-deux (32) filles et deux cent vingt-deux (222) garçons. Parmi eux, quinze (15) sont condamnés et deux cent trente-neuf (239), soit un pourcentage de 94.1 %, sont en attente de jugement
IV. TRANCHE D’AGE DES MINEURS INCARCERES
Les mineurs incarcérés sont âgés de douze (12) à dix-sept (17) ans. Cependant, au moins cinq (5) détenus ayant atteint leur majorité en prison, ont été identifiés par le RNDDH dont quatre (4) âgés de 19 ans et un (1), de 20 ans.
Dans les prisons civiles de Delmas et du Cap-Haïtien, des mineurs de dix (10) à douze (12) ans sont recensés, contrairement aux dispositions légales tant nationales qu’internationales en matière de protection des mineurs.
V. CENTRE D’ACCUEIL DE CARREFOUR
Le Centre d’Accueil de carrefour compte quatre (4) bâtiments ayant chacun deux (2) étages. Il peut recevoir environ quatre cent (400) personnes mais contient actuellement cent dix huit (118) enfants âgés de six (6) à quatorze (14) ans. Tous proviennent des rues de l’aire métropolitaine. Fermé en 1996 suite à des affrontements entre les jeunes et des agents de la police, le Centre d’Accueil de Carrefour a rouvert ses portes au cours de l’année 2004. Il était administré par l’Institut du Bien-être social et de la Recherche
(IBESR) du Ministère des affaires Sociales. Depuis le 7 avril 2007, suivant un partenariat établi entre L’IBESR et la Congrégation des Frères et Soeurs de l’Incarnation, le centre d’accueil est placé sous la direction de la Congrégation. De plus, il est convenu que l’IBESR privilégie les enfants des rues et les achemine au centre d’accueil.
COMMENTAIRES ET RECOMMANDATIONS
Si dans les prisons civiles de Delmas et de Pétion-ville, les mineurs bénéficient d’un programme scolaire et d’un cours d’apprentissage de crochets, de fabrication de paniers, ces initiatives sont réalisées par des institutions privées et donc, ne s’étendent pas à toutes les prisons du pays. Les principales missions de la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP) sont de garder et de réhabiliter mais, force est de constater que les autorités concernées font preuve d’un laxisme sans bornes vis-à-vis de ces mineurs qui ne bénéficient d’aucun programme de réinsertion sociale.
Les mineurs appréhendés sont dirigés vers des centres carcéraux, sans tenir compte de leur âge alors que la Loi fait obligation aux autorités concernées de les placer dans un centre d’accueil, de rééducation et de réinsertion. L’Etat haïtien ne dispose que d’un centre d’accueil qui, confié à une institution privée, ne travaille pas de manière systématique avec les enfants en conflit avec la Loi.
En d’autres termes, si théoriquement, la Loi en matière de justice pénale, fait montre d’une politique visant à protéger l’enfant, dans la pratique, aucune mesure concrète n’est prise pour l’application de ces dispositions.
La détention préventive prolongée, de par sa nature, est révoltante. Elle devient pire quand ce sont des mineurs qui la subissent. En effet, comment parler d’un avenir meilleur pour le pays si les enfants ne sont pas jugés au plus vite et réintégrés dans la société, à travers un programme de réhabilitation sociale.
Dans le but de redresser la situation à laquelle font face les enfants incarcérés, le RNDDH enjoint l’Etat haïtien à :
- Assurer lui-même ses responsabilités en matières de justice et de réinsertion sociale au lieu de laisser des domaines cruciaux de son action à la merci du secteur privé;
- Construire de nouveaux centres d’accueil pour les enfants en conflit avec la Loi;
- Retirer les enfants des centres de détention et les acheminer vers ces centres d’accueil;
- Permettre à tous les enfants en conflit avec la Loi de poursuivre leurs études scolaires pendant leur placement;
- Nommer des travailleurs sociaux pour encadrer les enfants;
- Nommer de nouveaux juges et juges d’instruction pour enfants.