Anne, voilà 3 mois que tu es arrivée en Haïti, quels sont le contexte, les avancées et les difficultés rencontrées dans ta mission?

Déjà trois mois que je suis arrivée… Le temps passe tellement vite ! Durant ces trois mois, il y a eu des hauts et puis des bas et puis à nouveau des hauts et à nouveau des bas ! Mais ce pays me plaît, il est prometteur et plein d’avenir à condition qu’on lui laisse la chance de s’épanouir par lui-même.
Je pense que la première difficulté que j’ai rencontrée dans ma mission est moi-même. J’ai déjà fait l’expérience du travail à l’étranger avec des personnes d’une culture différente de la mienne et malgré le fait que je sois partie avec l’idée que les choses se feraient lentement, j’ai eu du mal à m’adapter les deux premiers mois. Je voulais que le travail commence, que les choses aillent plus vite… Je n’étais pas satisfaite au début parce qu’ici tout se fait selon un certain protocole, un certain rythme auxquels il était nécessaire que je me plie et m’adapte, même si cela ne me convenait pas. J’ai mis du temps à réaliser que j’étais entrain de faire exactement ce que je m’étais promis de ne pas faire : essayer de faire les choses comme j’ai l’habitude de le faire et d’imposer cette façon de faire… Et j’avais tout faux ! J’ai donc lâché prise et tout en essayant quand même de faire avancer ma mission, j’ai laissé les choses se mettre en place à leur rythme.
Il faut dire que je suis arrivée dans un contexte où le GARR a commencé à s’investir dans une nouvelle thématique de travail : le droit au logement, question cruciale aujourd’hui en Haïti. A première vue, cette thématique est un peu éloignée du mandat du GARR mais elle touche les personnes déplacées après le séisme, dont le GARR s’occupe, les considérant comme une catégorie de migrants. Cet investissement a été important les deux premiers mois de ma présence, notamment en ressources humaines et temporelles. Nombreux de mes collègues de travail ont été sollicités pendant cette période, me laissant sans référent direct. Ce n’était pas dramatique mais ça a commencé à devenir handicapant, lorsque je suis arrivée à la limite de ce que je pouvais faire par moi-même et que j’avais besoin de consulter mes responsables pour faire avancer ma mission.

Un des gros challenges de ma mission est que jusqu’à présent le GARR n’a jamais vraiment travaillé sur les questions de migrations vers la France et les DOM-TOM. Tout le travail de compréhension du contexte migratoire est donc à faire, surtout lié avec la thématique du droit à l’identité et de l’état civil. Le GARR travaillant plutôt du côté de la frontière avec la République dominicaine, il ne dispose pas vraiment de réseau d’associations dans la région qui intéresse ma mission, qui se trouve dans le sud du pays. Grâce au réseau du Collectif Haïti de France, j’ai pris contact avec une association, FONH SUD, bien implantée dans la zone d’Aquin et qui m’a énormément aidé dans la planification de rencontres avec des membres de diverses organisations locales: mutuelles de solidarité, organisations paysannes… Accompagnée d’un représentant du GARR, je me suis rendue à la rencontre de ces personnes afin de mieux comprendre leurs difficultés. Un problème auquel nous avons été confrontés est que les gens sont plus intéressés par le côté ‘état civil’ de ma mission que par le côté ‘migration’. Ils ont eu tendance à faire part de leur situation en termes de documentation sans qu’elle est vraiment un lien avec la migration. Néanmoins, leurs témoignages m’ont permis de faire un état des lieux du système d’état civil dans la région.

Concernant les deux autres pans de ma mission, l’accompagnement juridique et le plaidoyer sur les Haïtiens de l’extérieur, ceux-ci sont moins avancés que le volet sensibilisation. Pour le plaidoyer, c’est notamment dû au fait que le GARR n’a pas encore préparé son plan de plaidoyer pour la deuxième moitié de l’année.

Quelles sont les perspectives à présent?

La semaine prochaine (du 11 au 16 juillet), je repars dans la région d’Aquin. Cette mission a deux objectifs. Le premier est de retourner voir les gens que nous avions vus lors de notre première viste et voir s’ils ont réussi à trouver d’autres personnes intéressées par l ‘enquêt que je mène. Le deuxième est de recontrer des membres de nouvelles communautés dans d’autres lieux de la zone afin de diversifier mes sources d’informations. A mon retour, il s’agira de réfléchir sur le type d’activités à mener en fonction du résultat des enquêtes et de les planifier.

J’envisage aussi de créer plus de liens avec des associations françaises de droit des étrangers ou en lien avec des communautés haïtiennes pour:
créer une collaboration dans le cadre de permanences juridiques au GARR qui viendraient en appui à des Haïtiens en demande de visa ou de regroupements familiaux
activer le plaidoyer sur les Haïtiens de l’extérieur en obtenant des informations sur la situation de ces Haïtiens
Echanger des informations sur les activités de la communauté haïtienne en France pour les diffuser en Haïti.

Tu nous disais, lors de ton interview de départ de ne pas t’être fait à l’avance d’image d’Haïti, de Port au Prince. Aujourd’hui peux-tu nous dire au delà de ta mission ce que tu ressens au quotidien par rapport au pays, par rapport à la forte présence internationale notamment?

La vie quoitidienne en Haïti n’est pas une des plus faciles qui soient. Il y a un certain nombre de difficultés pratiques qui ont tendance à venir s’infiltrer dans le quotidien. Mais ce pays est magnifique. Il l’est par la nature qui le parcourt, par la population qui l’habite et par la force qui l’anime. Aujourd’hui, il est à terre mais c’est un pays plein d’avenir à condition qu’on lui laisse la chance de s’épanouir. Pour moi, après seulement trois mois ici, il est clair que si l’aide humanitaire était nécessaire au lendemain du séisme, il est fort probable que sa présence asphyxie le pays dans les temps à venir. La présence internationale, aussi utile qu’elle puisse l’être (lorsqu’elle l’est vraiment) ruine l’esprit d’initiative haïtienne et monopolise certains champs d’activités. J’ai l’occasion de participer à un groupe de travail inter-institutions sur la question de l’état civil, qui mélange agences des Nations Unies, OIM, OEA, MINUSTAH et société civile haïtienne. Certaines de ces institutions, même dotées de bonnes intentions, font les choses dans le mauvais sens, en faisant à la place des Haïtiens et des autorités. Pour moi cela n’aidera jamais le pays à devenir autonome, notamment dans certains domaines comme celui de la police, où la MINUSTAH est toujours très (trop?) active.