Haiti : La POHDH « préoccupée par l’impunité qui voile la grande majorité des crimes commis à travers le pays »

 

Port-au-Prince, le 7 décembre 2006

Lettre Ouverte

A : Monsieur Jacques Edouard ALEXIS
Premier Ministre du Gouvernement de la République d’Haïti
En ses bureaux.

Monsieur le Premier Ministre,
La Plate-forme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH) vous présente ses salutations. Préoccupée par l’impunité qui voile la grande majorité des crimes commis à travers le pays, et qui protège les auteurs de ces actes crapuleux, la Plate-forme se voit dans l’obligation de s’adresser à vous, Monsieur le Premier Ministre, responsable de la bonne marche de la nation.

Elle profite de son 15ème anniversaire et du 58ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme pour vous demander de prendre les mesures nécessaires pour amener la justice à punir tous ceux et toutes celles qui enfreignent les lois et à freiner parallèlement cette vague d’insécurité qui, au cours de ces dernières années, n’a cessé de semer le deuil au sein de la famille haïtienne et de celle des ressortissants étrangers vivant parmi et avec nous.

La Plate-forme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH) tient en outre à attirer votre attention sur des cas particuliers et flagrants de violations de droits de l’Homme et de crimes de diverses natures, qui ont déjà fait l’objet d’un début d’enquête et qui, nous l’espérons, soumis à votre attention, ne resteront plus à présent sans suite. A titre d’exemples nous citons :

1) Le cas du Père Jean Marie VINCENT, assassiné le 28 août 1994, au volant de sa voiture à la rue Baussan, à l’entrée de la maison des Montfortains. Une enquête a été ouverte et menée par quatre juges d’instruction à qui le dossier fut successivement confié. Le 15 septembre 2003, neuf ans après cet assassinat, une ordonnance non signée par le greffier, fut rendue. Cette ordonnance qui fut signifiée aux inculpés le 19 septembre 2003, fut attaquée en appel.

Un Arrêt avant – dire droit rendu par la Cour d’appel le 22 novembre 2003, a infirmé l’ordonnance non signée et ordonné une nouvelle instruction où toutes les personnes citées seraient interrogées et leurs déclarations confrontées à celles du trio Alpinal JEAN, Youri LATORTUE et Jackson JOANIS, vu qu’elles étaient, selon la Cour d’Appel, contradictoires.

Le 1er juin 2005, la Cour a rendu un arrêt – ordonnance qui ordonne de renvoyer hors des liens d’inculpation Rémy LUCAS et Jackson JOANIS mais n’a pris aucune décision en ce qui a trait aux inculpés Irvin MEHU, Garry ETIENNE, Gervais POITEVIEN, Nicole POITEVIEN, Hérold CLOISEAU (identifié comme celui ayant appuyé sur la gâchette), Grégory LIGONDE, Léonard LUCAS, Patrick LUCAS et Lieutenant Hérad dit Lieutenant. La Cour demande en outre à la force publique de rechercher les auteurs de ce crime crapuleux, exigeant ainsi à la Police de faire ce que la justice n’a pas pu faire pendant 11 ans d’instruction.

2) Les dossiers du journaliste Jean Léopold DOMINIQUE et du gardien de sa station de radio Jean Claude LOUISSAINT, tués tous deux le 3 avril 2000. Du 20 mars 2003 au 2 mai 2006, la justice haïtienne n’a pas su rendre un verdict de culpabilité contre les présumés assassins. En effet, de l’ordonnance de clôture du juge d’Instruction Bernard SAINT-VIL, à l’Arrêt d’ordonnance de la Cour d’Appel jusqu’au pourvoi des inculpés à la Cour de Cassation, aucune décision de justice impartiale et correcte n’a eu lieu au point que le dossier a dû être confié à un nouveau juge d’Instruction par le Décanat du Tribunal de première Instance. Et jusqu’à présent les assassins circulent librement dans les rues.

3) Le cas de Brignol LINDOR, journaliste et directeur de la salle des Nouvelles de Radio Echo 2000, tué à coups de piques et de machettes le 3 décembre 2001 à l’Acul, 1ère section communale (BINO) de Petit Goâve. Ceci s’est passé – nous vous le rappelons – trois jours après que le Maire de la ville, Emmanuel ANTOINE, en compagnie des Maires adjoints Dumey BONY et Cimeres BOLIERE, eût donné une conférence de presse au local de la Mairie. Y participaient plusieurs directeurs d’institutions publiques de Petit Goâve et le coordonnateur de l’organisation populaire « Domi nan bwa » qui avaient tous réclamé l’application de la formule « zewo tolerans » à l’encontre des personnalités anti-Lavalas dont Brignol LINDOR.

La POHDH, par le biais d’une des Institutions Membres, le RNDDH, a suivi le dossier du journaliste sauvagement assassiné et s’est rendue compte de la complaisance de la justice. En effet, suite à l’ordonnance du juge d’Instruction rendue le 16 septembre 2002, renvoyant certains des inculpés hors des liens d’accusation et les autres par devant une instance de jugement, les sieurs Belasier et Moreno Lindor, avec pour mandataires spéciaux Denis LAGUERRE et Guyler C. DELVA, ont fait appel le 3 octobre 2002. Le 27 mars 2003, l’Arrêt de la Cour d’Appel de Port-au-Prince a décidé cet appel irrecevable pour défaut de qualité, car Belasier et Moreno LINDOR ont été identifiés comme plaignants et non comme Partie civile. Et comble de l’injustice, après un pourvoi en cassation, le 21 mars 2003, par les mandataires Laguerre et DELVA, le cas de Lindor a été déclaré irrecevable. Et le dossier du journaliste horriblement mutilé et tué, pourrit depuis lors dans les tiroirs de la justice.

4) Le cas de Ricardo BENJAMIN, un policier Agent III, tué au commissariat de Petit Goâve dans la nuit du 9 au 10 février 2002 d’une balle à la tête. Le juge de Paix Lenor JULIEN a verbalisé et constaté le cadavre de la victime. Il s’est aussi chargé des informations préliminaires et a transféré le dossier au Parquet de Petit Goâve. Ce dernier a affirmé l’avoir transmis au Décanat du Tribunal de Première Instance de cette juridiction depuis 2002. Jusqu’à date, rien n’est fait sur le dossier sinon que l’Inspection Générale a essayé de mener une enquête. Il semble avoir été classé par la Justice pour n’être jamais re-ouvert.

5) Les cas des 3 fils de Viola ROBERT et d’Antoine PHILIPPE. Dans la nuit du 7 au 8 décembre 2002 à Waney 89, Andy PHILIPPE, Angélo PHILIPPE, Vladimir SANON âgés respectivement de 20, 22 et 21 ans, ont été enlevés par des Policiers du Sous – Commissariat de Saint – Charles (Commune de Carrefour), et retrouvés assassinés par balles à la morgue de l’hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH) le 8 décembre 2002.

Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), l’une des Institutions Membres de la Plate Forme, avait rencontré la famille des victimes et les autorités policières. Suite à son enquête, le RNDDH a dû héberger cette famille qui était l’objet de menaces de tous ordres et a dû aussi engager un cabinet d’avocats à son service.

Le Bureau des Affaires Criminelles (BAC), une structure de la Police Nationale d’Haïti (PNH), spécialisé dans les enquêtes criminelles, a produit un rapport le 20 décembre 2002. Ce rapport établissait la participation d’au moins huit (8) personnes dont trois policiers dans la perpétration de ce triple assassinat. Il s’agit de : Josaphat CIVIL Commissaire Municipal, Médat MENARD AIV, Pierrot GIVENS AII, Augustin PIERRE AII, Sheila ASPILLAIRE, Jean Gaspard JUSTE, Constant, Maudeline, ainsi connus. Ce triple crime est le résultat d’une affaire politique doublée de jalousie. Les menaces auxquelles faisaient face les membres de la famille ROBERT / PHILIPPE les ont obligés à prendre l’exil. Les policiers nommément identifiés par le rapport du BAC, au lieu d’être poursuivis, ont obtenu promotion. A titre d’exemple, le Commissaire municipal, responsable d’alors de la juridiction de Carrefour, soupçonné de complicité dans cette affaire, était promu commissaire principal.

Le 3 décembre 2004, un (1) an, onze (11) mois et vingt-cinq (25) jours après, le Juge Instructeur a rendu son ordonnance de clôture renvoyant par-devant le Tribunal Criminel siégeant avec assistance de Jury cinq (5) personnes dont deux inconnues. La Partie Civile et le Parquet du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince ont décidé de relever appel de cette ordonnance. Entre temps, le mandat de l’un des trois (3) juges devant statuer sur le dossier a pris fin. Ce dossier est, aujourd’hui, en reproduction par devant la Cour d’appel de Port-au-Prince.

6) Le cas de John Peter Ancy OLEUS qui a été assassiné le 8 janvier 2003. Dans le cadre de ce dossier, une ordonnance en date du 22 janvier 2004 a renvoyé par devant le Tribunal Criminel la nommée Barbara Petiote Pierre CADET, femme de Guy Martial Pierre CADET, un inspecteur de police, n’a donné lieu à aucune suite. Malgré cette ordonnance de renvoi, l’inculpée circule dans les rues en toute quiétude.

Monsieur le Premier Ministre,
La Plate-forme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH) constate que ces cas précités et tant d’autres non mentionnés comme celui du Père Jean Pierre LOUIS assassiné le 3 août 1998 à l’intérieur du local de SEDEP, ont été tout bonnement classés dans les tiroirs de la justice sans qu’une décision de justice n’ait été prise en leur faveur alors que certains auteurs de ces forfaits ont été clairement identifiés. Face à cette situation qui ne peut que révolter la conscience humaine, la POHDH tient à vous rappeler que les droits à la vie, à la liberté et à la sûreté de la personne tel que prévu par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (art.3), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art.6) et de la Constitution Haïtienne (art.19) sont des droits inhérents à l’être humain et que nul ne peut en être arbitrairement privé.

Monsieur le Premier Ministre,
Comme vous pouvez le constater, le non-respect de ces droits est très fréquent en Haïti. Les cas d’homicide, d’enlèvement et de tentative d’assassinat sont perpétrés quotidiennement. Il vous revient donc en tant que Chef de Gouvernement de garantir la sécurité à laquelle toute personne vivant sur le sol national, a droit. Forte de toutes ces considérations, la POHDH vous recommande de :

– Faire un état des lieux des dossiers qui ont été soumis à la justice et dont l’enquête a été paralysée ;

– Procéder à la relance des dossiers qui ont été arbitrairement classés ;

– Faire le suivi des enquêtes inachevées afin d’identifier les auteurs des actes de violation et faire droit aux requêtes des victimes ;

– Appliquer les mesures prévues par la loi, contre toute personne impliquée dans des crimes et des actes de violation de la personne.

La Plate-forme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains (POHDH), convaincue que vous prendrez ces requêtes en considération et leur donnerez une suite favorable, vous renouvelle, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de sa haute considération.

COLAS Jocelyne, Secrétaire Générale de la POHDH

JEAN CHARLES Jean Evrard, Secrétaire Exécutif de la POHDH