Komisyon Episkopal Nasyonal Jistis ak Lapè

Commission Episcopale Nationale Justice et Paix
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Evaluation des élections du 3 décembre 2006

La Commission Episcopale Nationale Justice et Paix a participé à l’observation électorale du dimanche 3 décembre 2006, avec plus de 1100 observateurs à travers les 10 départements géographiques du pays. La Commission salue la population haïtienne qui a voté, tout comme les citoyens et citoyennes qui ont décidé de ne pas aller aux urnes. Tous et toutes ont voulu faire passer un message aux autorités de l’Etat et aux hommes et femmes politiques ; un message qu’on doit chercher à comprendre.

La Commission présente ses condoléances aux familles des victimes à l’occasion de ces élections. Elle dénonce toute intolérance et violence qui ne correspondent pas aux moyens pacifiques qu’il faut développer pour permettre d’organiser la vie sociale.

Voici nos constats



Dans la zone métropolitaine :

1. De façon générale, la participation au vote était minimale, ce dimanche 3 décembre. Dans plusieurs bureaux, à part les mandataires, la participation n’atteignait à peine une trentaine de votants sur les 400 électeurs potentiels inscrits sur le registre électoral partiel. Cela donnerait moins de 10 % de participation dans ces bureaux de la zone métropolitaine.

2. Tout le monde a remarqué le grand nombre de mandataires politiques qui se trouvaient sur les lieux, durant toute la journée ; plusieurs fois ils dépassaient le nombre des 6 mandataires admis par BV (bureau de vote). Il y avait des mandats frauduleux ; certains mandataires exerçaient des pressions sur les agents électoraux.

3. Quelques centres étaient bien pourvus d’agents de sécurité ; dans d’autres centres on remarquait à peine quelques policiers pour les superviser, bien qu’ils se trouvaient à proximité de zones à risque.

4. On a signalé plusieurs cas de personnes qui avaient fait le déplacement pour voter mais dont les noms ne figuraient pas sur une liste. Si déjà le nombre de votants était minime, des citoyennes et citoyens désireux d’exprimer leur choix se trouvaient ainsi exclus.

5. Nous avons de nouveau constaté des BV logés dans des espaces inadaptés quand on considère le nombre de votants potentiels. Il n’y avait pas de progrès réel dans ce domaine par rapport aux élections antérieures. Dans l’éventualité d’une plus grande affluence, la gestion de l’électorat aurait été très difficile, voire impossible.

Dans les départements :


1. L’affluence était plus importante, surtout dans les sections communales, même si les centres de vote étaient plus éloignés. Mais il n’y avait pas d’affluence massive, comme dans les cas où l’on valorise vraiment les élections. Dans le département du Nord-Est par contre où on votait également pour les sénateurs, la participation atteignait 50 et même 60 % en certains lieux. On a constaté également une bonne participation dans le département des Nippes.

2. En général, tout le matériel de vote était sur place. Il y avait, certes, de nombreuses irrégularités qui n’ont pas empêché le déroulement du scrutin. En certains endroits on a dû arrêter le processus dans des BV ou centres. Exemples : dans le département du Nord à Limonades ; dans le département du Centre (Bas Plateau) au lycée de Mirebalais ; il y avait des problèmes dans un centre de Las Cahobas (La Hoye) ou des partisans d’un parti politique ont détruit des procès verbaux. Dans le Bas Artibonite, il y avait des problèmes à Marchand Dessalines où le processus a été interrompu dans deux centres (Prien et Des Lagons) ; on a interrompu le processus à Liancourt et dans les centres de deux sections de Des Chapelles. A Mapou (Belle Anse, département du Sud-Est) on a dû interrompre le processus.

3. La composition des listes électorales n’avait pas améliorée vraiment. Les mêmes plaintes des électeurs qui ne retrouvaient pas leur BV étaient récurrentes.

4. La Commission condamne toute violence faite au moment du scrutin : les bagarres, destruction de matériel de vote, les menaces, fraudes et tentatives de bourrage des urnes, incendies, etc. Dans ces accrochages et disputes, selon les zones, on rencontre les partisans des différents partis politiques. Nous demandons : comment la violence pourrait-elle être utile à la démocratie et à une meilleure participation des citoyens et citoyennes ? Nous ne comprenons pas que des candidats, des anciens candidats à de hautes responsabilités dans l’Etat, des autorités de l’Etat comme un sénateur et député, ont pu participer à de pareils actes, comme cela a été constaté à Pestel (Grande Anse), Maissade (Centre), Labordes (Sud) et Port-de-Paix (Nord-Ouest).

Comment comprendre le scrutin du 3 décembre ?

Quand les citoyens et citoyennes manquent de participer à des élections, cela exige une bonne explication. Tout le monde dans la capitale et les centres villes était au courant de la tenue des élections le 3 décembre. Si la population ne s’est pas déplacée, surtout dans la zone métropolitaine, il y a là certainement un signal adressé directement aux autorités politiques de l’Etat et aux partis politiques.

* Est-ce que les citoyens et citoyennes manquaient d’être informés de l’importance de ces joutes électorales ? Est-ce que l’éducation civique était insuffisante ? La Commission a signalé ce manque d’éducation civique depuis le début du processus électoral.
* Est-ce que les citoyens et citoyennes manquaient de connaître les candidats, par manque de campagne électorale ?
* Est-ce que la population manque de faire confiance au système électoral même, par manque d’information, de communication ou pour d’autres raisons ?
* Est-ce les citoyens et citoyennes dans les villes ressentent les autorités locales comme trop éloignées, sans influence réelle dans la zone qui est sous leur responsabilité ? Tandis que dans les sections communales il y a davantage de proximité ?
* Plusieurs personnes ont également exprimé leur déception quand elles ne voient pas comment les élections pourraient influencer le développement économique du pays. La crise économique dans le pays s’est aggravée sérieusement depuis le début de 2006, à part les autres formes d’insécurité qui tracassent la population.


Nos recommandations

Ces élections ne seront pas les dernières. Dans une démocratie, à des intervalles réguliers on demande aux citoyens et citoyennes de se prononcer sur la façon que les autorités gèrent les affaires de l’Etat aux différents niveaux.

Avant longtemps il faudrait qu’il y ait un Conseil Electoral Permanent, qui devrait continuer à bâtir sur les expériences faites pour améliorer la tenue des scrutins.

Les recommandations de la Commission Justice et Paix ne diffèrent pas substantiellement de celles faites déjà en avril 2006, parce que nous avons observé les mêmes faiblesses dans l’organisation et le déroulement du scrutin.

* Les listes électorales doivent être correctes. Ce n’est pas à l’approche des élections qu’il faut y penser ; ceci est un travail permanent. Sans tarder, le Gouvernement doit organiser l’Institut qui est responsable pour la gestion du registre national. Cet institut doit disposer des moyens nécessaires pour gérer la question correctement.

* Le choix de la location et l’organisation des centres de vote doivent définitivement améliorer. Une meilleure localisation doit permettre une meilleure participation. Les locaux doivent avoir suffisamment d’espace pour accueillir ceux et celles qui désirent participer. L’espace doit pouvoir garantir le secret du vote.

* La question des mandataires des partis politiques exige de bonnes mesures. Les partis politiques doivent se montrer à la hauteur de leur rôle dans le processus électoral. Ils doivent savoir convaincre les citoyens avec des programmes valables, une bonne information et des compétences réelles. C’est le seul moyen pour faire entrer la politique (qui est l’art de bien gérer l’Etat) dans le développement du pays.

* La formation civique doit reprendre sa place, pas seulement à l’approche des élections, mais dans les écoles, les organisations et groupements. La démocratie, l’Etat de droit et la gestion permanente des conflits dans la société exigent des structures sociales solides et des principes généralement acceptés.

* Il faut mieux considérer la question des analphabètes qui sont des citoyens à part entière. Il est à craindre qu’ils ne restent de cóté dans le processus électoral.


En conclusion

Pour que les citoyens et citoyennes du pays finissent par faire confiance aux réalités politiques, il faut bien que les autorités politiques et les partis politiques donnent la preuve qu’ils sont là pour chercher le bien du pays et pour garantir le bien commun.

Quand elle considère le grand investissement (en efforts humains et financiers) que représente ce processus électoral et la participation timide des citoyens et citoyennes le jour du scrutin, ainsi que la légèreté avec laquelle des partisans de partis politiques cherchent à troubler le processus, la Commission ne peut pas cacher ses inquiétudes pour l’avenir des processus électoraux dans le pays.

La Commission renouvelle sa conviction et sa confiance dans la capacité de notre peuple de prendre en main sa destinée, pour changer le pays et les conditions de vie des gens pour le bien.

La Commission demande à tous ceux et toutes celles qui détiennent un mandat politique pour agir d’une façon qui soit conforme à cette capacité du peuple Haïtien. Elle demande aux leaders et aux autorités politiques du pays de continuer à se former sur le sens et le rôle du politique dans le développement du pays et dans le changement des conditions de vie de la population.

Port-au-Prince, ce 6 décembre 2006

P. Jean Hanssens, directeur