Ouanaminthe, Haïti, le 4 avril 2006

La frontière Nord haitiano-dominicaine après la tragédie du 11 janvier 2006

Le contexte de la frontière Nord haitiano-dominicaine (Ouanaminthe-Dajabón), depuis le début de cette nouvelle année 2006, est marqué par la mort par asphyxie de 25 migrants haïtiens le 11 janvier 2006, alors qu’ils tentaient de voyager illégalement en République Dominicaine dans un container. Cependant, cette tragédie n’a pas pu dissuader d’autres migrants afin qu’ils/elles ne s’exposent pas aux risques et dangers du trafic illicite; elle n’a pas non plus convaincu les autorités frontalières tant haïtiennes que dominicaines de prendre conscience de la nécessité urgente de déployer des efforts pour sanctionner et démanteler le réseau de trafiquants, combattre et prévenir cette criminalité binationale organisée. Au contraire, à la frontière Nord les voyages illégaux continuent de plus belle et en toute liberté, pendant que les déportations opérées par l’État dominicain augmentent considérablement. Il y a lieu de noter aussi qu’il devient de plus en plus difficile d’observer ces rapatriements et de les quantifier parce que la Direction de Migration Dominicaine à Dajabón ne donne aucune copie des formulaires de rapatriement au Bureau du Service d’Immigration et d’Émigration à Ouanaminthe et, en outre, les agents migratoires et militaires dominicains ont pris le soin d’opérer les déportations à des heures avancées de l’après-midi et dans des points frontaliers non officiels, comme Capotille par exemple.

Il faut souligner que la grande majorité des Haïtiens qui furent refoulés à la frontière Nord pendant les 3 derniers mois (janvier, février et mars 2006) étaient des personnes en processus d’émigrer illégalement en République Dominicaine. Cependant, quelques migrants qui furent déportés ont subi de sérieuses violations de leurs droits ; nous tenons à présenter trois (3) de ces cas de violations et un grand précédent marqué par le Commissariat de Police de Ouanaminthe qui a appréhendé un trafiquant en flagrant délit, c’est-à-dire, en train d’organiser un voyage illégal vers la République Dominicaine.

Premier cas : Un jeune qui fut atteint d‘une balle au cours d’un voyage illégal.
Le 14 janvier 2006, un jeune homme de 24 ans qui avait tenté de voyager de manière illégale vers la République Dominicaine se trouvait au Centre de santé de Ouanaminthe pour se faire soigner, suite à une balle qui l’avait atteint à son flanc droit et qui arrivait à percer ses fesses. Il avait reçu cette balle à Copey, près de la frontière Nord, pendant que les gardes dominicains couraient après 8 migrants, dont il fut l’un d’entre eux, et tiraient sur eux. Il fut victime de la balle : il tomba immédiatement, fut abandonné par ses compagnons de route et les militaires et passa le reste de la journée et toute la nuit seul, pendant que la blessure saignait beaucoup. Le lendemain, un Dominicain qui menait paître ses boeufs lui donna les premiers soins et le conduisit à un hôpital de Santiago où il a subi une intervention chirurgicale pour qu’on lui enlevât la balle. Il fut rapatrié par la suite à Ouanaminthe où il avait reçu les suites médicales nécessaires.

Ces 8 migrants étaient partis dès 6 heures du matin avec un passeur qui les accompagnait à Meyac (un point frontalier non officiel situé à la frontière Nord, tout près de Ferrier), par où ils rentraient en République Dominicaine.

Deuxième cas : Un jeune, muni de ses documents migratoires légaux, qui fut détenu et maltraité par des agents de Migration dominicaine
Le mardi 17 janvier 2006, nous avions reçu à notre bureau un jeune qui nous informait qu’il était entré en République Dominicaine au cours du mois de novembre 2005 avec sa documentation migratoire en règle (un passeport scellé d’un visa dominicain en vigueur) pour s’enquérir auprès des universités avec l’intention d’étudier dans l’une d’elles. En sortant de Santo Domingo en route vers Santiago, quelques agents migratoires ont demandé au chauffeur de l’autobus public –où ce jeune se trouvait- de s’arrêter et sont montés dans l’autobus pour vérifier le statut migratoire des migrants ; ils ont interrogé le jeune et, sans faire cas des documents présentés par lui, l’ont giflé à maintes reprises, lynché et détenu pendant trois jours. Après, ils l’ont libéré et déporté tout simplement à Ouanaminthe.

Troisième cas : Une jeune femme qui venait d’accoucher et qui fut rapatriée avec son bébé un jour après l’accouchement
Le 27 janvier 2006, on a rencontré une jeune femme dans une petite chambre appartenant au local du Service d’Immigration et d’Émigration à Ouanaminthe, non loin du poste frontière. Elle nous disait qu’elle résidait à Santa María et qu’elle fut conduite, après une courte période d’évanouissement, à l’hôpital de Dajabón où elle a eu son bébé. Un jour après l’accouchement, elle fut déportée à Ouanaminthe avec son bébé nouveau-né et pleura encore des douleurs laissées par les séquelles de l’accouchement et l’abandon complet où elle se trouvait : à Ouanaminthe, elle ne connaissait personne et elle n’avait rien pour s’acheter ses médicaments, se nourrir et prendre soin de son bébé.

Le précédent concernant la lutte contre le trafic illégal : un trafiquant pris en flagrant délit qui fut appréhendé par un agent de police à Ouanaminthe
Le jeudi 9 mars 2006, vers 4h00 de l’après-midi, un camion public contenant plus de 42 personnes, dont une femme enceinte et des mineurs, fut arrêté par un agent de police de Ouanaminthe. Quand le chauffeur et les passagers furent interrogés au Commissariat de Police de Ouanaminthe, ils révélaient que le passeur (trafiquant de migrants), présent aussi dans le camion, allait les conduire en République Dominicaine en passant par le point frontalier Capotille. Le passeur fut détenu dans la garde à vue et fut obligé de rembourser les migrants qui l’avaient payé pour qu’il les « passât » illégalement vers le pays voisin.

Ces trois cas graves de violations des droits humains des migrants-tes haïtiens-nes sur le territoire dominicain tendent à devenir une situation habituelle à la frontière Nord, puisque depuis l’année dernière nous les recevons avec fréquence. En outre, il y a beaucoup d’autres cas que nous n’avons pas pu connaître, ni investiguer, ni documenter, parce que nous autres, les organismes de droits humains qui travaillons à la frontière haitiano-dominicaine, nous n’avons pas accès aux informations et témoignages de la totalité des migrants-tes victimes dans tous les points frontaliers, officiels et non officiels. Nous continuons à insister qu’il est temps que les autorités dominicaines se penchent sur les cas de violations des droits humains des migrants-tes haïtiens-nes et sanctionnent quelques agents migratoires et militaires qui prennent plaisir à maltraiter injustement et en toute impunité les migrants-tes haïtiens-nes, qu’ils ou elles soient réguliers-ères ou non en République Dominicaine.

Nous continuons aussi à demander aux autorités dominicaines de respecter et faire respecter les documents migratoires légaux des Haïtiens et Haïtiennes, de même que la dignité, l’intégrité, les droits humains, la vie de tous les migrants et migrantes sans exception.

En outre, le trafic illicite de migrants-tes haïtiens-nes en République Dominicaine prend de l’ampleur à la frontière Nord, fait des victimes et risque de faire rééditer des tragédies si les nouvelles autorités haïtiennes ne légifèrent pas en la matière et, de concert avec les autorités dominicaines, ne luttent pas contre cette industrie, très juteuse pour les réseaux de trafiquants haïtiens et dominicains et mortelle pour les migrants-tes. Nous tenons à souligner que le Commissariat de Police de Ouanaminthe a marqué un précédent et que nous l’invitons à suivre pour prévenir et combattre le trafic illégal de migrants depuis le côté haïtien de la frontière.

Solidarite Fwontalye, Bureau du Service Jésuite des Réfugiés et Migrants (SJRM)
à Ouanaminthe, Haïti
Wooldy Edson LOUIDOR, Responsable de Communication et Plaidoyer
Lissaint ANTOINE, S.J., Directeur